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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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paumes posées sur les genoux.
    La petite
fille frotte une joue contre le coude de sa maman. Les paupières closes, elle
semble respirer à nouveau comme si tout le temps que cette chaleur maternelle
était à Versailles elle avait vécu en apnée. Son père la comprend. Lui aussi
aime tant caresser Athénaïs. Elle est tellement gracieuse, cette plus belle
dame de France  – un rêve de pierre comme on n’en voit qu’idéalisé dans
les parcs royaux. Et cet être est sa femme ! Le mari en pleurerait de
bonheur. L’ovale parfait du visage d’Athénaïs, ses hauts sourcils blonds, sa
bouche qui se resserre de manière comique lorsqu’elle est étonnée ou pensive.
    La tête sans
doute encore pleine de cortèges en gondole sur le Grand Canal, elle traîne
maintenant un regard d’ennui dans le médiocre foyer de la rue Taranne. Les murs
gris-vert écaillés la désolent. Les plinthes cassées, couleur de framboise
écrasée, l’attristent, les pauvres chaises à sangles la ligotent, la tapisserie
de Moïse râpée l’use et le tanin noir des meubles démodés remonte en elle comme
un cauchemar enfoui. Sa fille l’ennuie à la serrer ainsi. Elle la
repousse : « Mais arrête ! » puis déclare à son mari :
« Il faudra trouver une solution. Toi, à la frontière espagnole, et moi à
la cour, je ne pourrai pas m’occuper des deux enfants. »
    — Voudrais-tu
que j’emmène Marie-Christine à Bonnefont en allant dans le Roussillon ? Ma
mère s’en occuperait.
    Athénaïs ne
répond pas. Elle écoute naître en elle des aspirations vers une autre
existence, s’impatiente déjà d’aller de fête en fête à la suite de Sa Majesté.
Elle murmure : « Un jour où il y a eu des rafales de pluie, le
Roi-Soleil s’est découvert, a posé son chapeau sur ma tête devant la cour étonnée
et m’a reconduite au Palais. »
    — Mais
qu’est-ce que tu lui as fait au monarque ?
    Louis-Henri
regarde sa blonde devenir plus pâle que les perles dont son cou est paré.
    — Tu
portes un nouveau collier ? Est-ce aussi le roi qui te ?...
    Heureux, il
frappe de ses deux larges pognes la table :
    — Que
d’attentions ! Un titre de dame d’honneur, un impôt parisien, un chapeau
secoureur sous une ondée, un rang de perles... Et moi qui aurai bientôt un
brevet de colonel ! Sa Majesté désarme enfin l’hostilité qu’elle portait à
ma famille et la rétablit dans d’anciennes faveurs.
    Il se lève sur
les carreaux de poterie en argile du sol penché où le soleil laisse s’étaler
une grande faux de lumière. Devant la fenêtre qu’il ouvre et dans le rayon, il
se fait l’adulateur de l’astre diurne. Sa femme le regarde crier :
« Vive le roi ! »

 
12.
     
     
    Les séjours
d’Athénaïs à Saint-Germain-en-Laye, au château de Marly ou à Versailles, sont
de plus en plus longs et elle rentre de plus en plus tard au domicile conjugal.
Son mari ne s’en offusque pas. Il patiente dans le cortège des jours gris du
petit appartement presque déserté par l’épouse. En attendant la guerre de
Dévolution contre l’Espagne, il traîne avec philosophie son ennui loin de sa
femme partie sur une orbite de plus en plus proche du Roi-Soleil. Un soir
qu’elle revient en vertigineux décolleté, Mme Larivière, sur le palier, la
regarde passer dans l’escalier et grommelle à Dorothée :
    — Faire
montre de son sein publie que la bête est à louer.
    Louis-Henri,
debout dans le salon et devant des cartes des Pyrénées déroulées sur la table
de jeu, tient à la main un verre d’eau. Au moment où il porte le verre à ses
lèvres, sa femme entre. Il lui trouve les yeux baissés. Elle n’a pas changé de
couleur mais lui qui la connaît ne la croit pas moins embarrassée.
    — Louis-Henri,
j’ai une grâce à te soumettre mais il faut me l’accorder. Sans cela je t’avoue
que je serais fort piquée.
    Athénaïs veut
demander à quitter la cour et que son mari l’emmène à Bonnefont :
« C’est trop d’être dame d’honneur, c’est trop la succession des
boucheries, c’est trop que le roi paie une partie de ta compagnie, c’est trop
de vivre à la cour. Allons habiter auprès de ta mère avec nos enfants en
Guyenne. »
    Montespan
refuse :
    — Dans un
inconfortable et vieux château au fond du royaume, en pleine nature sauvage et
au milieu des croquants ? Tu vas t’y ennuyer.
    Elle supplie
Louis-Henri de renoncer à ses projets de compagnie, le supplie de

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