Le Monstespan
n’est pas certaine de les revoir.
Le long du
goulot souterrain, qui n’a pas dû être emprunté depuis un siècle, Montespan
progresse à tâtons et dos courbé, enjambe des racines d’arbre fluorescentes,
entend des couinements d’animaux qui se sauvent – gros rats des champs
certainement. Des toiles d’araignée et des insectes courant se prennent dans les
cheveux.
C’est la fin
du tunnel. Contre une paroi verticale de glaise, Louis-Henri heurte les
barreaux d’une échelle rouillée qu’il gravit. Arrivé en son sommet, il a des
difficultés pour soulever la grille qui obstrue le souterrain. Enfant sur un
avant-bras, d’une épaule et de sa tête penchée, le marquis force plusieurs fois
et finalement la grille se retire en déchirant des herbes, déplaçant des mottes
d’humus glacé.
Ils sortent de
terre près d’un grand rocher. A côté, au tronc d’un arbre, un cheval est attaché.
Louis-Henri veut partir en catimini car il devra frôler sans bruit des villages
endormis. Il enrobe les sabots de l’animal avec ce qu’il croyait être des
chiffons, pris au hasard dans la noirceur du castel, mais il s’est
trompé : c’est la robe de mariage de Françoise, tant pis. Son fils bâille
et tremble de froid. Le père hisse l’enfant sur le dos du cheval et monte en
croupe derrière lui. En bas, dans la vallée, le château de Bonnefont paraît
ronfler, entouré par la lumière des pipes allumées des dragons qui le
surveillent.
— Où
allons-nous, papa ?...
— A
Madrid.
L’enfant est
un peu effrayé par la grandeur du voyage mais son père lui donne du courage et
l’enveloppe d’un lourd manteau de buffle. Montespan, en cape de feutre, passe
un bras autour de la taille de son fils et se colle contre lui pour le
réchauffer.
— Hue...
Le cheval
avance le long d’un chemin verglacé. Louis-Antoine, une joue contre un biceps
du Gascon, contemple devant lui la chaîne des Pyrénées blanc et bleu dans la
nuit claire. L’ondulation du dos de l’animal au pas berce l’enfant qui
s’endort. Sous les sabots ducheval maintenant au trot, les perles de la
robe rouge de Françoise éclatent comme des petites étoiles.
39.
— Monsieur
de Montespan, comment va Louis XIV ?
À la cour
d’Espagne, Louis-Henri se demande si le dauphin âgé de dix ans – le futur
Charles II – a de
l’humour, se fout de sa gueule, ou s’il est complètement con.
— Je vous
demande ça, reprend l’héritier de la branche espagnole des Habsbourg, parce que
moi, je ne vais pas très bien...
L’enfant frêle
et pratiquement infirme se retient à la cheminée de marbre pour ne pas tomber.
On devine déjà
ses traits d’adulte dégénéré qui ne vivra pas longtemps.
— Est-ce
que le roi de France a mal aux dents, monsieur de Montespan ?
— Ah,
mais je ne sais pas, répond le marquis.
— Et des
cauchemars, fait-il des cauchemars ?
— Je n’en
sais rien. En tout cas, moi, j’en fais souvent à cause de lui.
— L’autre
nuit, dit le dauphin, j’ai rêvé que je devenais une huître et que des Indiens
m’ouvraient pour s’emparer d’une perle que j’avais à l’intérieur. Puis ils
m’ont laissé me refermer tout seul et sont partis avec mon trésor. Je me suis
réveillé curieusement... sec.
— Ah
bon ?
— Quelquefois
aussi, je rêve que je n’ai plus de bras, seulement des mains directement
attachées aux épaules et qui palpitent comme des nageoires.
— Eh
bien, dites-moi...
— Monsieur
de Montespan, croyez-vous que je sois un animal marin ?
— Mais
non, prince.
« Hi,
hi, hi ! El
hechizado ! El hechizado !... » (L’ensorcelé ! L’ensorcelé !...)
Dans le sombre salon officiel du palais espagnol, les sœurs du dauphin et
filles de feu Philippe IV, qui
a produit également une foule d’infantes maladives et naines, gloussent et
filent vers le salon des Miroirs où leurs reflets les démultiplient par mille.
Vêtues de jupes ressemblant à de gros abat-jour, elles tournent en rond et
grincent comme des poupées de bois montées sur roulettes. Louis-Henri se dit
que ce n’est pas seulement à la cour de France qu’il y a quelque chose de
pourri.
— Voulez-vous
un fruit ? !
Les paroles du
futur monarque espagnol sortent, saccadées, de sa bouche comme s’il cherchait avec
difficulté chacun des mots qu’il doit prononcer.
Une voix
explique à l ’oreille du
marquis français : « L’héritier du trône n’a
Weitere Kostenlose Bücher