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Le Monstespan

Le Monstespan

Titel: Le Monstespan Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean Teulé
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pu marcher et commencer
à parler qu’à cinq ans. » Cette voix à l’accent autrichien est celle du
cardinal Nidhart  – inquisiteur qui, le temps de la régence, s’est vu
confier le poste de Premier ministre par la reine mère dont il est le
confesseur. Vêtu de la robe rouge surmontée d’un mince col blanc, il porte une
barbiche et des moustaches sous des yeux très tristes. Un couvre-chef,
ressemblant à ces petits bateaux que les enfants confectionnent en pliant une
feuille de papier, domine son crâne. Montespan saisit poliment un abricot dans
la corbeille en porcelaine que le prince de santé fragile tend vers lui. Le
fruit est tellement mûr et gâté auprès du noyau qu’il a un goût de fromage.
    — Un
autre abricot !
    — Non,
merci.
    — J’aimerais
beaucoup vous revoir, monsieur de Montespan !
    — C’est-à-dire
que..., répond Louis-Henri, j’étais en fait venu vous faire mes adieux et remercier
l’Espagne pour son asile pendant plus d’une année. Sitôt passé les Pyrénées,
les populations se sont mises aux fenêtres et ont béni mon voyage jusqu’à
Madrid. La joie du sujet de ma visite a éclaté partout où je suis passé. Avec
mon fils, nous fûmes hébergés par le palais et avons disposé de valets de pied
en livrée. Un de vos carrosses était toujours à ma porte pour me servir... Il
était à quatre mules avec un cocher royal. Ce traitement de table et de
carrosse, coutume à l’égard des ambassadeurs extraordinaires, m’a beaucoup
touché, mais maintenant que je peux retourner chez moi...
    — Vous
étiez là depuis presque un an ? Et pourquoi personne ne me l’a dit ?
demande le petit prince, d’unair fâché, au cardinal Nidhart qui lui
répond :
    — Parce
que vous dormiez, Don Carlos.
    — Ah oui,
c’est vrai, je dors beaucoup ! Parfois pendant des mois. On m’appelle
aussi « le Cadavre dans son lit ». Vous ai-je déjà raconté mes rêves,
monsieur de Montespan ?
    — Oui,
prince.
    — Voulez-vous
un abricot ?
    — Non,
merci.
    Il règne une
gêne dans ce salon que maintenant Louis-Henri est pressé de quitter. Il va pour se lancer dans une
profonde révérence lorsque le rejeton vacillant lui demande :
    — Pourquoi
ne pouviez-vous pas rentrer chez vous ?
    Le cocu tente
de lui expliquer sa situation de mari trompé par le roi de France. « Je me
doutais qu’en passant sous la protection de la très dévote Espagne, je faisais
un excellent calcul, que Louis XIV allait craindre des extravagances pouvant porter atteinte à son
prestige. Votre dégénérescence flagrante, Don Carlos qui mourrez sans doute
sans descendance, ouvre déjà la succession à votre trône pour les prétendants
d’Europe. L’époux français de Marie-Thérèse se doit de ne négliger aucune
précaution diplomatique et donc de me ménager. Il a cédé par lettre de
rémission !... poursuit Louis-Henri en agitant une feuille de papier - (...)
Pardonnons au dit sieur marquis de Montespan, mettant pour cet effet à néant
tous ajournements directs et autres procédures judiciaires qui ont été faites. Je
l’ai remporté. Je suis libre et heureux de retourner à Bonnefont ! »
    — Le roi
de France vous a écrit ? s’exclame, épaté, le jeune dauphin. Puis-je voir
sa lettre ? J’aime beaucoup Louis XIV et la France... même si je ne sais pas trop où cela se
trouve.
    — Don
Carlos, intervient Nidhart en essayant de ne pas s’énerver, nous sommes EN
GUERRE contre la France et Louis XIV est notre ENNEMI...
    — Ah bon,
mais pourquoi ? !
    Il y a comme
un flottement dans l’air.
    — Quand
sera-t-il roi ? murmure Montespan à l’oreille du cardinal.
    — Dans
quatre ans..., soupire Nidhart.
    Louis-Henri
hoche la tête sur l’air de : ben, ça promet pour l’Espagne... Ils vont se
marrer, les Madrilènes...
    — Moi, de
toute façon, reprend le Premier ministre, dès qu’il devient monarque, je retourne
en Autriche.
    L’infirme
débile observe Montespan :
    — Vous
allez retrouver votre femme chez vous ?
    — J’aimerais
bien...
    — Ce doit
être agréable d’être marié, non ?
    — Ça
dépend...
    — Louis XIV est marié, lui ?
    — Oui, et
avec une Espagnole d’ailleurs.
    — Ah bon ?
Mais je croyais qu’il était roi de France !
    Une certaine
fatigue se lit sur les visages de Nidhart et du marquis français à qui le
dauphin demande aussi :
    — Comment
fait-on les enfants, monsieur de

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