Le Monstespan
Louis-Henri par-dessus Françoise aux jambes écartées.
— On
conseille à ceux qui souhaitent lui demander une faveur de l’apercevoir avant
de l’approcher au risque d’être frappés de mutisme à sa vue. Sur scène, il
endosse souvent le rôle de Jupiter..., poursuit la marquise.
Et elle se
remet à balancer des reins. Soudain, des lumières vives changent le grand
bassin en une mer de feu sous des cascades de feux d’artifice. Les statues se
muent en danseurs nus peints en gris. Même les arbres dont les ombres s’étirent
semblent se déraciner pour suivre l’évolution du roi. Dans ce monde instable,
scintillant d’illusions, il est le point fixe autour duquel tourne l’univers.
Tout paraît soumis à sa volonté. Des bataillons d’aides-jardiniers sautent
d’une fontaine à l’autre, se battent avec des robinets pour les ouvrir, les
mains trempées, le souffle court – quand le roi marche, la musique de
l’eau l’accompagne. Quoique ce soit l’été, partout sont dressées des pyramides
de glace. Cette présence donne l’apparence d’un miracle et Louis adore ce qui
atteste de son pouvoir sur la nature (manger glacé en été...). Fruits et vins
sont servis dans des coupelles d’eau gelée.
— On dit
qu’il suffit que le roi sorte pour que la pluie cesse.
Et puis, d’un
coup, des fragrances d’ambre gris, d’eau de rose, mêlées aux émanations d’une
poudre à canon, montent jusqu’au carrosse des Montespan sur la colline. Un feu
d’artifice compose au ciel de gigantesques arabesques où s’entrelacent deux
« L ».
— Pourquoi
ce deuxième « L » ? questionne Françoise.
— C’est
l’initiale du prénom de Louise de La Vallière, la favorite, répond son mari.
— Devant
la reine et en public, il ose honorer sa maîtresse ? s’étonne la blonde
marquise.
— Que
pourrait ne pas faire Sa Majesté ? lui demande Louis-Henri.
Le vaste
domaine royal est maintenant composé de fusées volantes, de saucissons
tournoyants, de pétards, de lances à feu, de girandoles... Et puis soudain une
explosion finale immense et tout le ciel devient bleu clair.
— Il peut même restaurer le
jour en pleine nuit…, s’ébahit la marquise qui s’assoit et rabat les tissus
translucides de sa robe sur les cuisses.
Ces
transparents colorés sont habituellement portés par-dessus une robe noire toute
simple mais Françoise, et c’est du plus bel effet, les porte à même la peau
– tenue facile à ôter dans le privé permettant d’accéder plus vite au
corps. Ah, les lestes déshabillés de Françoise !
— J’ai
faim. Louis-Henri, que penses-tu du prénom Athénaïs ?
— Pourquoi ?
sourit le mari, remontant sa culotte de satin gris.
— Pour
sacrifier à la mode de l’Antiquité, qui est le dernier chic, je me ferais bien
appeler Athénaïs...
— Athénaïs
ou Françoise, moi, si c’est toi...
— Ça
vient du nom de la déesse grecque de la Virginité. Vierge rebelle, Athéna
refusa tout prétendant mortel.
— Ah
bon ?
*
Saint-Germain-en-Laye
est, en carrosse, à trois heures de Paris. Françoise, que l’amour physique sur
la banquette a affamée, propose de s’arrêter à mi-chemin pour souper à L’Écu
de France.
— Tout ce
que vous voudrez, lui répond son mari s’amusant à la vouvoyer, car vous savez
bien que vous seule me tenez lieu de tout. Et puis, justement, je voulais te parler,
Athénaïs...
Dans ce relais
de poste réputé – maison à étage rouge (la tuile et la brique y
fourmillent) devant un gazon bordé de camomille –, l’atmosphère est
tamisée ; les fenêtres faites de petits carreaux.
La salle étant
déjà emplie de clients emperruqués comme Louis-Henri qui réajuste la sienne
par-dessus ses épaules, on apporte et dresse pour les Montespan une table près
d’un escalier luisant de cire et à côté d’une cheminée sans feu (c’est juin).
Françoise s’assied avec gourmandise :
— Je ne vais
prendre que des plats qui m’étaient défendus lorsque j’étais au couvent, des
aliments qui poussent à la luxure : huîtres, haricots rouges dits
« vénériques », asperges, interdites aux jeunes filles.
Elle éclate
d’un rire de perles tombant d’une boîte sur des marches de marbre. Les clients
de la salle se tournent vers elle. Belles mains, bras faits au tour du potier,
dents parfaites et blanches si rares en ce temps, les talons-rouges et
bourgeois de l’établissement,
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