Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
d’exprimer
cette réponse. C’est dans cette problématique que se justifie le choix des
sites dédiés à l’Archange : car il est le lien entre l’intelligence divine
et l’intelligence humaine, celui qui assure la fusion entre le feu du ciel et
celui de la terre. Par conséquent, tout lieu consacré à saint Michel doit être
un lieu d’exception, un lieu très fort en magnétisme
terrestre, et également très exposé au rayonnement sidéral. Ainsi se dessinent
les éléments fondamentaux d’une géographie sacrée.
Il ne s’agit certes pas, ici, de dresser un inventaire de
tous les « monts » Saint-Michel qui existent par le monde car, du
plus simple au plus grand, ils sont innombrables. Mais des remarques sur
certains d’entre eux, en Europe occidentale, peuvent nous faire comprendre plus
facilement la portée exacte du culte michaélique et l’importance de l’ancien
Mont-Tombe dans cette géographie sacrée.
Le modèle se trouve évidemment au Monte-Gargano, en Italie, lieu
de la première apparition dûment répertoriée de l’Archange sur le territoire
européen. Le Monte-Gargano est un sommet anciennement consacré à un dieu géant
qui est le Gargantua des traditions populaires. Mais aux premiers temps du
Christianisme, on devait y célébrer le culte de Mithra, d’où la légende selon
laquelle on trouva un taureau dans une grotte et qu’ainsi ce taureau fut sauvé
de la mort. Cela signifie en clair que les fondateurs du culte michéalique au
Monte-Gargano interdirent aux populations de pratiquer le taurobole, le
sacrifice du taureau, et remplacèrent cet acte rituel par le culte chrétien, principalement
par le sacrifice de la Messe, autrement dit la mise à mort de Jésus-Dieu dont
le sang rejaillit sur les fidèles en leur donnant la vie éternelle. Historiquement,
c’est une simple substitution de cultes, et cela n’apparaît guère original.
Cependant, comme il est difficile d’éliminer toute référence
au passé, les éléments « païens » de l’ancien culte sont demeurés. On
y trouve une grotte et des souterrains, et, comme on l’a dit, le parcours des
lieux d’approche aussi bien que le parcours à effectuer dans le souterrain
constituent un véritable voyage initiatique. Une tradition, chargée évidemment
de significations, veut que les portes du sanctuaire se fermaient d’elles-mêmes
au coucher du soleil pour se rouvrir d’elles-mêmes au soleil levant. On peut
ainsi comprendre que l’armée céleste des Anges, conduite par Michel, descend
chaque nuit dans le temple pour y célébrer une mystérieuse liturgie dont très
peu d’humains ont la possibilité d’être les témoins. À cet égard, ce que l’on
raconte au sujet de l’empereur germanique saint Henri, deuxième du nom, qui
vécut de 973 à 1024, est assez significatif.
Henri le Saint était venu en pèlerinage au
Monte-Gargano en 1022, deux ans avant sa mort. Or, le soir, il s’écarta
volontairement de sa suite, et se laissa, dit-on, enfermer dans la
grotte-sanctuaire. Et là, il eut une vision qu’on hésite à classer comme
mystique, mais qui serait plutôt du domaine initiatique.
Il aurait vu en effet une multitude d’Anges d’une beauté fulgurante
et aussi brillants que le soleil. Ils auraient pénétré dans le sanctuaire en
faisant cortège à l’Archange Michel, en l’éclatante majesté de son épiphanie. L’empereur
aurait ainsi assisté aux splendeurs liturgiques de la Jérusalem céleste et l’Ange
qui avait présenté le Livre Saint au baiser de l’Archange (liturgie parallèle à
celle de la Messe pontificale), l’aurait présenté également au baiser d’Henri II
qui était demeuré à l’écart, tremblant de tous ses membres. Ce que voyant, l’Ange
lui aurait dit : « Ne crains pas, élu de Dieu, redresse-toi et
accueille avec joie le signe de la paix divine qui t’est donné. » Et la
légende rapporte qu’aussitôt, la hanche de l’empereur se démit : c’est
ainsi qu’il resta boiteux le reste de sa vie. Bien entendu, tout cela a un
rapport avec la lutte de Jacob avec l’Ange, lequel le frappe à l’emboîture de
la hanche, et aussi avec les nombreuses traditions mythologiques où l’on voit
des humains qui ont des rapports avec des déesses être frappés de claudication :
l’exemple d’Anchise, le père d’Énée, qui fut l’amant de la déesse
Vénus-Aphrodite, en reste le plus connu.
C’est dire que le sanctuaire du Monte-Gargano est
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