Le Mont-Saint-Michel et l'énigme du Drangon
1577, les Huguenots du
capitaine Le Touchet se déguisèrent en marchands désireux d’accomplir un
pèlerinage, pénétrèrent dans l’enceinte, gagnèrent la confiance des soldats en
leur offrant du vin et firent pieusement leurs dévotions. Puis ils s’installèrent
sur le Sault-Gautier en attendant des renforts. Mais un novice soupçonneux
comprit le stratagème. Les religieux ameutèrent la ville et les faux marchands
durent se rendre.
Une autre fois, dix gentilshommes protestants furent envoyés,
certains déguisés en femmes, d’autres en pêcheurs. Les gardes méfiants furent
assassinés. Ils ouvrirent les portes et les troupes huguenotes pénétrèrent dans
la ville. Le gouverneur, Louis de Vicques, était absent à ce moment-là. Il
revint en hâte, et comme il ne pouvait pas traverser la ville occupée, il se
fit hisser, à l’aide de cordes, jusqu’à l’enceinte fortifiée de l’abbaye et
organisa une contre-attaque : pris entre deux feux, les Huguenots durent
se rendre et furent enfermés à Tombelaine.
Cette fidélité du Mont au catholicisme en fit rapidement un
bastion de la Ligue. Les religieux se placèrent sous la protection du duc de
Mercœur qui rêvait de constituer une sorte de royaume breton ultra-catholique
allié de l’Espagne, et qui combattait avec acharnement les partisans d’Henri IV
tout autant que les Protestants. Ce n’est qu’en 1595 que les moines du Mont se
soumirent au roi de France. Mais un an plus tôt, le 23 mars 1594, la
foudre a frappé une nouvelle fois : le clocher et la charpente de l’église
sont dévorés par les flammes et les cloches fondent, se transformant en coulées
incandescentes. L’état de l’abbaye est alors lamentable. En 1603, à la suite de
plaintes répétées de la part des moines, le Parlement de Normandie condamne le
cardinal François de Joyeuse, abbé commendataire, à payer les frais de
réfection.
Mais ces réparations matérielles de l’abbaye ne suffisent
plus. Si le rythme des pèlerinages ne se ralentit pas, la vie monastique
connaît un déclin rapide. Le relâchement des mœurs devient un scandale public. La
charge d’abbé, au début du XVIII e siècle,
avait été confiée à un jeune garçon de la famille de Guise, dont la mère s’était
faite le tuteur. Elle chargea le fameux cardinal de Bérulle, fondateur de l’Oratoire,
de s’occuper des affaires du Mont. Le cardinal envoie un homme de confiance
pour tenter de réformer la vie monastique et donner une nouvelle impulsion au
culte de l’Archange. Mal lui en prend : les religieux se méfient, car ils
craignent d’être remplacés par des Oratoriens, et finalement, la mission du
cardinal de Bérulle et de son représentant ne fait qu’accentuer la débâcle de l’abbaye.
Après bien des hésitations, des discussions, des tergiversations,
on finit par décider d’adjoindre aux anciens moines du Mont-Saint-Michel des
membres de la Congrégation de Saint-Maur, fondée en 1618. Les moines du Mont
acceptèrent la fusion, ou plutôt la cohabitation, en 1622. Chaque religieux conservait
son logement et recevait une pension. Mais les Mauristes s’installaient comme
chez eux et introduisaient ainsi cette réforme qu’on peut qualifier de néo-bénédictine.
Cette alliance a une double conséquence. Sur le plan matériel,
l’abbaye va être saccagée, parce qu’il faut que chacune des deux communautés
ait ses propres domaines. Le réfectoire est coupé en deux par un plancher, ce
qui permet d’installer ainsi deux dortoirs superposés. La Salle des Hôtes
devient le nouveau réfectoire. La chapelle Sainte-Madeleine devient la nouvelle
Salle des Hôtes. Dans l’église abbatiale, le croisillon nord du transept est
fermé par une muraille et on y aménage une sacristie qui peut éventuellement
servir de salle de chapitre. Et d’autres travaux, plus modestes en apparence, contribuent
à dégrader le plan harmonieux du bâtiment primitif.
Mais sur le plan spirituel et intellectuel, l’amélioration
est évidente. Les Mauristes sont jeunes, pleins de foi et d’enthousiasme, et
ils partagent leur temps entre la prière, l’étude et le travail, cela dans la
plus grande austérité. Le Mont-Saint-Michel devint alors une pépinière de
religieux savants, compétents, dévoués, qui essaimèrent un peu partout en
France et en Europe. La philosophie, la théologie et l’histoire furent
privilégiées. Les Mauristes contribuèrent grandement à sauver les
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