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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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plaindre.
    Nous étions heureux d’être de nouveau grands-parents, mais cette fois en ayant la joie de tenir dans nos bras l’enfant nouveau-né. Il y eut tout un conciliabule autour du choix de son prénom. Françoise eut gain de cause, car elle nous demanda d’en être le parrain et la marraine. Aussi, la petite hérita-t-elle du prénom de sa grand-mère. Est-il besoin de dire quel bonheur et quelle fierté en conçut Justine?
    N’ayant plus rien à faire à Montréal, je décidai de retourner à Verchères, quitte à revenir chercher Justine quelque temps plus tard.
    â€” Fais donc ça, dit-elle, comme ça nous n’aurons pas à nous préoccuper de ce que tu deviens. À te voir tourner ainsi en rond, nous finirons tous par devenir malades.
    Je retournai à Verchères pour en revenir, deux semaines plus tard, chercher une marraine très fière et fort heureuse de son séjour dans la grande ville.

Chapitre 56
Des suites inattendues
    De retour à Verchères, je relus fébrilement tous les documents concernant Bigot, me mettant à douter de leur utilité pour l’enquête menée par Querdisien. Cependant je savais que dans ce genre d’affaires, la moindre information pouvait mener loin. Je me revoyais devant l’intendant, quand il avait laissé entendre d’une voix méprisante, en faisant un jeu de mot avec mon nom:
    Â«Soyez discret et vous ne paierez jamais rien; un mot de trop et vous paierez de vos sous, sinon de votre vie.»
    Je me disais que c’était maintenant le temps de faire payer cet homme pour tout le mal qu’il avait causé.
    Puis les jours passèrent, si bien que je finis par être moins préoccupé par ce passé récent. Puisque je n’avais plus à me soucier du pain quotidien, je pus enfin m’intéresser à un art que j’avais toujours aimé sans pouvoir m’y adonner vraiment: le chant. Pendant le siège de Québec, non loin du palais, j’avais croisé à maintes reprises un soldat qui chantait comme un rossignol. Un beau jour, je l’avais arrêté pour lui demander où il avait appris tous les airs qu’il fredonnait sans se soucier du temps qu’il faisait, non plus que de la situation pénible dans laquelle nous nous trouvions. Il m’avait répondu:
    â€” Ces chansons, je les ai apprises au berceau. Elles me font vivre.
    Je n’avais pas oublié ses paroles si pleines de sagesse. Malgré le malheur qui nous accablait, malgré les ruines, malgré la faim, malgré les bombardements, cet homme-là chantait tout le temps. Je me dis, comme il me l’avait laissé entendre: «La chanson fait vivre.» Et comme je voulais respirer encore longtemps, je décidai d’apprendre à chanter.
    Nous avions au manoir un clavecin. Marie-Louise en jouait suffisamment pour me montrer les airs de certaines chansons, mais encore fallait-il que j’en trouve la musique et les paroles. En réalité, toute cette passion pour le chant me venait en particulier d’une chanson que ce soldat fredonnait souvent et qui me rappelait à s’y méprendre la situation dans laquelle nous étions plongés. Tout ce que j’en avais retenu, c’était son curieux titre: Contre la Poisson . Je tenais tellement à la retracer que je me rendis au fort de Verchères où on me mit en contact avec le musicien qui animait les bals. Je lui demandai:
    â€” Connaissez-vous la chanson intitulée Contre la Poisson ?
    â€” Bien sûr! m’assura-t-il. Il s’agit d’un air satyrique contre la Pompadour.
    â€” Vous pourriez me l’apprendre?
    â€” Certainement, cher ami.
    Et bientôt je pus me promener dans le manoir en chantant de ma voix de fausset:
    Les grands seigneurs salissent
    Les financiers s’enrichissent
    Tous les poissons s’agrandissent
    C’est le règne des vauriens
    On épuise la finance
    En bâtiments en dépenses
    L’État tombe en décadence
    Le roi ne met ordre à rien
    Une petite bourgeoise
    Ã‰levée à la grivoise
    Mesurant tout à sa toise
    Fait de la Cour un taudis
    Le roi malgré son scrupule
    Pour elle follement brûle
    Cette flamme ridicule
    Excite donc tout Paris
    Cette petite catin subalterne
    Insolemment le gouverne
    Et c’est elle qui décerne
    Les honneurs à prix

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