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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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d’argent
    Devant l’idole tout plie
    Le courtisan s’humilie
    Il subit cette infamie
    Et n’est que plus indigent.
    En réalité, si j’aimais autant cette chanson, c’est qu’elle me rappelait exactement la situation qui avait prévalu sous le règne de Bigot. Il aurait suffi d’y mettre son nom à la place de celui du roi, et d’y ajouter à la place de la Pompadour celui de la Sultane, cette petite catin subalterne qui le menait par le bout du nez.

    Je ne devais pas me libérer facilement de ce passé qui m’avait profondément marqué. Si cette chanson me le rappelait, la lettre que je reçus de France au printemps 1762 ne manqua pas de me préoccuper bien davantage. Elle venait du commissaire enquêteur Querdisien. Il me disait qu’à la recommandation de mon ami Huberdeau, je devrais me faire un devoir, au nom de tous les habitants de la Nouvelle-France, de lui communiquer au plus tôt tous les documents pouvant aider à mener à bien le procès tenu en France contre l’ex-intendant Bigot et ses amis, Péan, Cadet, Bréard, Martel, Varin, Lamaletie, etc.
    Si vous ne pouvez pas vous convaincre de l’utilité de votre témoignage, songez que ces malfaiteurs vous ont causé un tort considérable comme à tous les habitants de Nouvelle-France. Apprenez, par exemple, qu’en 1729 les dépenses annuelles du gouvernement du Canada n’étaient que de quatre cent mille livres. Mais à compter de l’arrivée de Bigot, ces dépenses ont explosé. Pour votre information, en 1750, elles se chiffraient à un million sept cent mille livres et sous Bigot, en 1751, elles passaient à deux millions de livres. L’année suivante, elles doublaient, s’élevant à quatre millions de livres. En 1755, elles touchaient les six millions pour atteindre onze millions trois cent mille livres en 1756, dix-neuf millions en 1757, et vingt-sept millions les deux années suivantes. Ne vous demandez pas ensuite pourquoi la France a perdu le Canada. Nous n’avons pas encore terminé les calculs de la dette du Canada. Mais nous sommes persuadés qu’elle atteindra les quatre-vingts millions.
    Il m’apprenait par sa lettre que Bigot avait été arrêté à la fin de novembre 1761 et qu’il était incarcéré, tout comme Cadet, à la Bastille, de même que tous ceux qui les secondaient dans leurs exactions et leurs fraudes. Plus loin, Querdisien écrivait:
    Vous semblez avoir en main des papiers qui pourraient nous être d’une grande utilité. Il est de votre devoir de nous les faire connaître. Vous devez me faire parvenir ces papiers. Ils nous seront de la plus grande utilité dans la poursuite de notre enquête, mais également pour faire la preuve des exactions commises par ces crapules. Songez que si vous ne faites rien pour aider à la condamnation de ces hommes, vous vous le reprocherez jusqu’à la fin de vos jours.
    Il me priait de nouveau de les lui faire parvenir au plus tôt, me mettant cependant en garde de ne révéler à personne de quoi il s’agissait, car Bigot avait beaucoup d’amis qui se chargeraient de mettre la main dessus et de les faire disparaître. Il m’assurait qu’il les remettrait lui-même au juge qui saurait en faire bon usage.
    Je désirais collaborer, mais j’avais mis tellement de temps à constituer le dossier que je possédais que je craignais qu’avant de se retrouver entre les mains du procureur, il tombe en d’autres mains qui ne se feraient pas scrupule de les faire disparaître. De plus en plus, j’avais idée de les porter moi-même en France. Ce qui m’en empêchait? Je n’avais pas l’argent nécessaire pour me permettre un tel voyage. Je songeai à me rendre auprès de certains marchands qui avaient particulièrement souffert du traitement infligé par Bigot et de la conduite de Cadet, de Bréard et des autres. Ils m’auraient sans doute aidé à défrayer les coûts de mon passage en France. Mais il m’aurait fallu, pour les convaincre, leur montrer les papiers que je détenais en preuve et je craignais trop que, le tout s’ébruitant, je sois bientôt aux prises avec certains amis de l’intendant, tel Deschenaux demeuré au pays. S’ils n’avaient pas eu de scrupules à

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