Le mouton noir
à lâargent quâils avaient volé. Câétait à désespérer de voir un jour la justice sâavérer vraiment à la hauteur.
Chapitre 63
Lâavenir du pays
à peine étais-je de retour à Verchères que furent affichées aux portes des églises les exigences des nouveaux maîtres du pays, à la suite du traité signé à Paris par lequel la France avait cédé le Canada à la Grande-Bretagne. Les Anglais avaient décidé de faire disparaître le nom Canada pour le remplacer par celui de Province de Québec. Ainsi, ce que nous appelions le Canada, de la Gaspésie jusquâaux Grands Lacs, devenait une colonie anglaise puisque le mot province signifie colonie. Nous étions les nouveaux colonisés de la Grande-Bretagne. Les conquérants avaient décidé de faire de nous des sujets britanniques.
Comme me lâexpliqua mon ami Huberdeau venu en visite à Verchères, le traité de Paris était très vague à propos de la langue française et demeurait très flou quant à notre religion. On laissait entendre que nous pourrions pratiquer notre religion en autant que le permettaient les lois de la Grande-Bretagne.
â Ãa ne veut absolument rien dire, mâassura Huberdeau. Les dirigeants pourront se permettre de très grandes libertés à ce sujet, tout comme à celui de la langue. Et câest déjà commencé.
â Quâentends-tu par là ?
â Nous nâavons plus le droit dâavoir des écoles françaises. Pire, si nous voulons travailler pour eux, nous devrons renoncer à notre religion. Nous voilà soumis à leurs lois anglaisesâ¦
â Je sais déjà , dis-je, que si nous voulons vendre nos biens, nous devrons le faire uniquement à des Anglais.
â Il est évident, reprit Huberdeau, quâils font tout ce quâils peuvent pour faire de nous une colonie anglaise semblable aux treize colonies américaines quâils ont déjà , plus au sud. Jâai entendu dire quâils invitent les Anglais qui habitent dans ces colonies à venir sâétablir dans la province de Québec.
Je lui fis la remarque:
â Dans cinquante ans, sous un tel régime, notre peuple nâaura-t-il perdu sa langue et sa foi?
â Cela nâarrivera pas!
â Comment peux-tu en être si certain?
â Nous sommes trop nombreux par rapport à eux. Il faut demeurer confiant, notre peuple va survivre.
â Quâest-ce qui tâen assure?
â Si les Anglais désirent vivre en paix en Nouvelle-France, ils devront revenir sur leurs décisions.
â Tu crois que nous pourrons leur tenir tête, sans armée et sans arme?
â Absolument. Dâabord, rien ne nous oblige à nous faire juger par leurs tribunaux. Nous nâavons quâà nous adresser à nos juges seigneuriaux. Pour ce qui est de lâenseignement de notre langue, ce sont nos mères qui nous ont appris à parler. Ce sont elles qui prendront le relais et apprendront aux enfants à lire et à écrire. Personne ne pourra nous empêcher si nous le voulons de pratiquer notre religion.
Huberdeau était un bon ami et un brillant homme. Ses paroles apaisèrent mes craintes et je mâefforçai de vivre paisiblement en compagnie de ma chère Justine les dernières années qui me restaient encore en ce bas monde.
Je revis Huberdeau quelques années plus tard. Il nâavait pas perdu sa foi en lâavenir de notre peuple. Il me parla longuement du gouverneur Murray:
â Cet homme est plus lucide que beaucoup de ses compatriotes, et en particulier les marchands qui le prient dâintervenir afin de faire de nous le plus vite possible des Anglais comme eux.
â Rien nâempêche quâil a fait pendre le meunier Nadeau.
â Il voulait donner par là un exemple et nous signifier que nous nâétions pas en position pour résister. Mais, depuis, il a constaté que ce nâest pas en se mettant le clergé et le peuple à dos quâil viendrait à bout de nous. Aussi a-t-il accepté quâun nouvel évêque sâinstalle à Québec. Bien que critiqué par les marchands anglais, il sait très bien quâil nây a quâune façon pour les Anglais de ne pas perdre le contrôle: câest de nous
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