Le mouton noir
sais-tu pourquoi?
â Non point.
â Parce que, depuis que nous sommes ensemble, tu mâas toujours parlé franchement de ce que tu vis, et les deux qualités que jâapprécie le plus au monde sont la franchise et lâhonnêteté. Si, comme tu le souhaites, tu veux te faire marchand, je ne mây opposerai pas, mais à certaines conditions.
â Lesquelles?
â Ton travail ne devra pas tâéloigner de nous durant des mois entiers. Tu devras tâadonner à des transactions honnêtes. Et pour ne point être contraint de commencer à zéro, jâai idée de la façon dont tu devrais procéder.
â Laquelle?
â Tu verras bienâ¦
Deuxième partie
LA RICHESSE Ã TOUT PRIX
(1726-1747)
Chapitre 20
Lâentourloupette
â Il nâest pas dit, se rebella Clément après avoir perdu son emploi, que la richesse nâest bonne que pour les autres. Je saurai bien, moi aussi, trouver le moyen de faire fortune.
Quand il parlait ainsi, Justine ne manquait pas de lui rappeler:
â Aussi longtemps que les moyens que tu emploieras pour y parvenir seront honnêtes, je nâaurai rien contre. Mais le jour où tu te risqueras à des malversations à ton profit, ce jour-là , tu me perdras.
â Crois-tu que nos riches marchands ont fait fortune par des moyens honnêtes?
â Je ne me soucie pas de ce que font les marchands. Pour moi, nous seuls comptons. à mes yeux, il vaut mieux que nous soyons pauvres et honnêtes que riches et malhonnêtes, ne lâoublie jamais.
Clément avait le souci de faire vivre sa famille et il se mit de nouveau à chercher du travail. Malgré les réticences de Justine, il se tourna tout de même vers le commerce. Sa mauvaise expérience avec Bréard lâavait néanmoins rendu prudent. Aussi, quand il sâassocia au marchand Godefroy, lâentente fut passée devant un notaire. Toutefois, comme il nâavançait pas un sou dans leur association, ce nâest que par son travail quâil pouvait espérer voir sa bourse se garnir. Or, il savait fort bien que quand on nâest pas son propre maître, dâautres se servent de nous pour leur intérêt personnel. Comme il ne pouvait pas espérer devenir riche de cette façon, il se remémora les paroles de Bréard: «On ne devient fortuné que le jour où on se sert de la naïveté des autres à son profit.»
Il travaillait bien, mais se demandait constamment comment il pourrait faire suffisamment de sous pour devenir son propre maître. Un soir quâil prenait un verre à lâauberge en compagnie du marchand Godefroy, un homme assis à la table voisine dit soudainement:
â Avez-vous vu lâannonce en entrant?
â Oui, mais je ne lâai point lue.
â Elle est affichée aux portes des auberges depuis ce matin.
â Et que dit-elle, cette annonce?
â Une femme de Québec promet une grosse récompense à celui qui lui rapportera des nouvelles de son fils.
â Tiens! Tiens! fit Clément, voilà quelque chose dâintéressant. Et son fils, où était-il la dernière fois quâelle en a entendu parler?
â à la traite des fourrures. On lui a certifié quâil est décédé là -bas, mais elle ne veut pas le croire.
â Qui lui a rapporté la mort de son fils?
â Un type parti à la traite en sa compagnie. Il paraît quâil sâest noyé dans la Rivière-des-Français.
â Pourquoi alors offre-t-elle une récompense pour le retrouver?
â Parce quâelle a lâesprit dérangé et ne veut pas admettre lâévidence.
Dès quâil en eut la chance, Clément alla lire le message à la porte de lâauberge. Il nota le nom et lâadresse de cette femme, la veuve de Boishébert, demeurant au 16 de la rue Notre-Dame. Il pensa dâabord lui faire parvenir une lettre lui disant quâil avait vu son fils bien vivant à Michillimakinac. Puis, conscient que son écriture pourrait être reconnue, il conçut le plan de se présenter chez elle déguisé en vrai coureur des bois.
Mais auparavant, il lui fallait obtenir des renseignements au sujet de ce jeune homme. à quoi ressemblait-il? Ãtait-il grand ou petit, noir ou châtain, gros ou
Weitere Kostenlose Bücher