Le mouton noir
moustache, elle ne manqua pas de lui dire:
â Est-ce seulement le fait de retrouver ton vrai visage qui te met tellement en joie?
â Non pas, dit-il. Je pense avoir enfin trouvé le moyen de nous rendre riches.
â Dans quelle aventure vas-tu encore te lancer?
â Qui vivra verra!
Chapitre 21
Lâembarcation
Le lendemain, ayant repris sa physionomie habituelle, Clément courait chez le charpentier de navire Charles Dorval et lui commandait une barque de cinquante pieds avec cabine gréée de ses mâts et autres agrès.
En le voyant revenir à la maison au beau milieu de la matinée et le sourire aux lèvres, Justine devina quâil mijotait quelque chose.
â à quoi tâadonnes-tu par les temps qui courent? Je te vois te démener dâun bord et de lâautre en de mystérieuses tractations qui ne cessent point de mâinquiéterâ¦
â Tu nâas pas à te préoccuper, jâai commandé une barque au sieur Dorval.
â Une barque?
â Oui, ma mie, je me lance dans la pêche à lâanguille. Le sieur Dorval mâa promis cette barque dans deux mois, juste à temps pour la saison de pêche.
â Avec quel argent comptes-tu la payer?
â Avec celui que me rapporteront mes poissons.
â Tu comptes sérieusement faire suffisamment de profits pour payer cette embarcation en vendant des anguilles?
â Dâautres y sont parvenus, pourquoi pas moi?
â As-tu seulement calculé combien de sols te rapportera une barrique dâanguilles salées une fois le sel et la barrique payés?
â Je nâaurai à débourser ni pour le sel ni pour les barriques. Ceux qui me commanderont des anguilles le feront.
â Combien de barriques te faudra-t-il vendre pour rembourser le prix de cette barque? Jâai peine à croire que le sieur Dorval te la construit à crédit.
â Qui tâa dit quâil me la faisait à crédit? Je lâai payée rubis sur lâongle.
â Avec quel argent?
â Celui quâun ami coureur des bois mâa prêté.
â Quel ami?
â Tu ne le connais point. Lâimportant, câest quâil mâait fait confiance.
Justine ne poussa pas plus avant son interrogatoire. Elle nâétait pas pour autant satisfaite des réponses obtenues. Elle décida de mener sa petite enquête. La première personne quâelle sâen alla trouver fut le sieur Dorval lui-même.
â Est-ce vrai que mon mari vous a commandé une barque?
â Câest juste!
â Comment compte-t-il vous la payer?
â Câest déjà fait. Il mâa remis la somme de quatre cents livres en bel argent sonnant et trébuchant.
â Où a-t-il trouvé cette somme?
â Ah, ça! Il ne me lâa point dit! Moi, madame, je ne regarde pas la couleur de lâargent.
«Jamais, se dit-elle, un ami, si bon soit-il, et qui, de plus, nâest quâun coureur des bois, nâinvestirait autant dâargent dans pareille aventure. Câest le cas de le dire: il y a anguille sous roche.»
Elle se mit donc en quête de ce mystérieux prêteur. Au marché, pas une seule de ses amies ne fut en mesure de se rappeler la présence à Québec du moindre coureur des bois. Puis, quelques jours plus tard, son amie Berthe Lahaie lui dit:
â Il paraît quâun jeune homme sâest présenté chez la veuve Boishébert avec des nouvelles de son fils Augustin. La veuve lui a remis une forte récompense.
Justine se fit raconter plus en détail de quoi il sâagissait et apprit les démarches entreprises par la veuve.
â Tout le monde sait, ajouta son amie, que son fils Augustin sâest noyé lâannée dernière alors quâil montait à la traite. Le prétendu coureur des bois qui lui a rendu visite lui a tout simplement conté ce quâelle voulait entendre et il a touché la récompense.
â Qui était de combien?
â Ãa, je ne le sais point, mais la veuve Boishébert parle de cette visite à qui veut lâentendre.
â Dans ce cas-là , dit Justine, je vais aller la voir.
La veuve ne se fit pas prier pour lui décrire ce jeune homme dont la moustache était remarquable et qui se nommait Bernard
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