Le mouton noir
acheter. Malgré tout, il laissa parler cet homme rachitique qui avait la mort inscrite sur le visage.
â Si tu refuses mon ginseng, mon ami, câest que tu ne connais pas ses vertus, sinon tu ferais tout pour tâen procurer et même en vendre. Celui qui en ferait le commerce pourrait facilement faire fortune.
â Pourquoi ne te lances-tu pas toi-même dans ce commerce, alors?
â Parce que ma santé ne me le permet point. Je nâen ai plus pour longtemps à vivre. Un mal mystérieux me ronge les sangs. Mais toi, mon ami, qui me paraît en parfaite santé, pourquoi ne tâintéresserais-tu pas à ce commerce?
â Il me faudrait dâabord savoir où trouver ces racines, comment les préparer et savoir à qui les vendre.
â Pourquoi tâinquiéter? Tu nâauras quâà suivre les conseils de ton nouvel ami Victor. Dâici deux ans, le ginseng tâaura rendu riche. Je ne veux pas mourir sans avoir livré mes secrets à un homme de confiance. En te voyant, jâai su que tu étais celui que je cherchais.
Clément se demanda sâil nâétait pas en présence dâun fou. Avec son regard toujours fixé au-delà de lâhorizon, vers quelque contrée irréelle, cet homme lui donnait lâimpression dâêtre à la fois présent et absent. Mais il nâen continua pas moins de sâadresser à lui de façon fort sensée.
â Tu ne mâas pas rejeté. Tu as écouté mon boniment sans hausser les épaules et sans me tourner le dos, comme le font la plupart.
â Et dis-moi donc comment, questionna Clément, tu as été initié aux secrets de cette plante.
â Jâétais serviteur chez les jésuites quand le père Lafitau, instruit par les Iroquois, en a trouvé pour la première fois. Ce bon jésuite a reçu, de lâun de ses confrères rattachés à la cour de lâempereur de Chine, une description exacte du ginseng de Chine ou, si tu aimes mieux, de la racine de vie, car il sâagit bien dâune racine de vie.
â Tu vas sans doute me dire que ce bon jésuite en a trouvé dans nos boisâ¦
â Parfaitement! Il a comparé cette plante à celles dâici. Il en a montré le dessin à des Iroquois qui lâont conduit dans le bois jusquâà une plante qui était bien du ginseng.
â Fort bien. Mais la plante dâici a-t-elle les mêmes vertus que celle de Chine?
â Absolument!
â Est-ce quâon en trouve beaucoup dans nos bois?
â Suffisamment pour en faire le commerce.
â Pourrais-tu me montrer où en trouver?
â Non seulement je te lâenseignerai, mais je tâapprendrai comment la préparer pour lâexpédier en Chine.
â En Chine?
â Bien sûr! Puisque le commerce de cette plante se fait avec les Chinois!
Quelques jours plus tard, Victor Généreux conduisait Clément dans un bois au sud-ouest de Montréal et lui faisait connaître les endroits où il cueillait cette plante. Clément se taisait. Quand bien même aurait-il voulu parler, son compagnon parlait continuellement!
â Je te le dis, cette plante fait des miracles. Une Indienne qui avait la fièvre en a pris et a découvert ses pouvoirs guérisseurs. Elle ne voulait pas révéler son secret aux autres. Mais le père Lafitau lâa fait parler. Sans son intervention, cette plante nous serait inconnue.
â Quelle partie de la plante est la plus bénéfique?
â La racine.
â Si je comprends bien, en cueillant la racine, du même coup, on tue la plante?
â Câest ce qui la rend si précieuse. Voilà pourquoi ceux qui savent où en trouver gardent leur secret pour eux.
â En me révélant ton secret, tu me fais un immense cadeau.
â Câest bien le dernier que je ferai, puisque la Faucheuse est à ma porte.
Ensemble, ils cueillirent des dizaines de plants. Puis Victor amena Clément à la cabane quâil habitait le long du fleuve.
â Je vais maintenant te montrer comment préparer cette plante en vue de sa vente. Là où tu demeures, est-ce quâil y a un grenier?
â Bien sûr!
â Tu suspends les racines recueillies aux poutres de ton grenier et tu les laisses sécher.
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