Le mouton noir
une famille à nourrir.
Clément comptait vendre au moins deux de ces barriques une fois à Verchères. Peut-être même que son père les lui achèterait?
Quand, à la fin de lâautomne, il revint mettre sa barque en cale sèche à Verchères, il avait quelques centaines de livres dans ses goussets, mais surtout un nouveau métier qui, il en était certain, lui permettrait de gagner honorablement sa vie et, même, de faire fortune. Il reluquait déjà la barque de son père et se voyait à la tête dâun commerce lui permettant dâexploiter divers marchés, celui de lâanguille bien sûr, mais aussi celui du transport de cordes de bois, marchandises sèches, mélasse, boissons, sucre et sel, qui sait? Il ferait du cabotage. Ses barques se rendraient sur la Côte-Nord et en Gaspésie. Il serait le marchand ambulant fournissant en denrées diverses les agglomérations lointaines. Il rêvait.
Il passa lâhiver bien au chaud, au pavillon de chasse, brûlant corde de bois sur corde de bois, sâoccupant à dresser des comptes et à transcrire les documents que son père lui fournissait. Ses enfants venaient le voir de temps à autre avec leur mère. Il aurait bien voulu partager leur vie, mais Justine se montrait inflexible. «Je ne vivrai quâavec un honnête homme», se contentait-elle de répéter.
Quand le printemps arriva, il fit mettre sa barque à lâeau et prit le large avec une seule chose en tête: les profits de ses pêches à venir. Il alla explorer la côte sud, fit même quelques virées du côté de lâîle dâOrléans, transporta des cordes de bois, de même que de la chaux, et quand débuta la saison de la pêche à lâanguille, il était fin prêt.
Il eut bien quelques démêlés avec des marchands plus ou moins aguerris qui se plaignaient de le voir jouer dans leur cour. Mais tout compte fait, il sâen tira fort bien, et quand il se dirigea vers Montréal pour écouler son stock, il se flattait déjà des profits qui seraient siens.
Il revint à Verchères, fort de quelque six cents livres, se préparant à passer un bien bel hiver. Il avait eu le temps de penser à ses affaires. Sans doute son père lui vendrait-il sa barque, qui passait une bonne partie de lâété à quai. Ce qui lâempêchait de lui en parler, câétaient les mille livres quâil lui devait toujours. Il était bien installé au pavillon, lâesprit effervescent et plein de projets, quand les premières plaintes arrivèrent. On le convoquait à Montréal pour répondre auprès de quelques dizaines de personnes de la mauvaise qualité des anguilles quâil leur avait vendues.
â De quoi mâaccuse-t-on? sâindigna-t-il.
â Lâanguille que vous nous avez vendue nâétait pas assez salée, si bien quâelle nâest pas mangeable. Elle est pourrie!
â Quoi? Moi, je vous ai vendu de lâanguille pourrie? Allons donc, câétait le meilleur poisson du marché.
â Dis plutôt que nous étions les meilleurs poissons du marché.
Il perdit son procès et, du coup, furent engloutis tous les profits de son été. Il sortit aigri de cette expérience et se jura de ne plus jamais vendre de sa vie une seule anguille. Mais il avait toujours sa barque. Il fit enlever les séparations dans la cale, passa des jours à nettoyer au vinaigre et à lâeau salée ce qui avait servi à lâentreposage des anguilles. Il sâadonna durant toute la belle saison à divers transports de marchandises pour se rendre vite compte que lâentreprise nâétait pas vraiment rentable. Pendant tout ce temps, il cherchait déjà un autre moyen de faire fortune.
Chapitre 24
Le ginseng
En livrant au port de Montréal du rhum de la Martinique quâun marchand de Québec lui avait confié, Clément fit la rencontre dâun homme désireux de lui vendre du ginseng.
â Câest le remède des remèdes, lui dit ce dénommé Victor. Il est bénéfique contre les troubles gastriques et bronchiques, lâasthme et le mal de cou. Je te le dis, le ginseng, câest la plante miracle!
Clément, sceptique envers tout ce quâon lui vantait comme remède miracle, ne voulut point en
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