Le mouton noir
Clément un élève des plus attentifs qui nâavait pas oublié que ce métier pouvait mener à la fortune. Pour lors, lâapprenti se contentait de mettre en pratique tout ce que le vieux maître chapelier pouvait lui apprendre. Il ne mit guère de temps à repérer les peaux qui donneraient les meilleurs résultats. «Je saurai, se disait-il, lesquelles acheter à lâavenir.»
Le vieil homme sâadonna dâabord, au moyen dâune plane, à arracher les poils des peaux. Puis il lui montra à Clément comment les préparer pour les fouler de manière à en faire un tissu suffisamment épais pour quâil prenne, une fois posé sur les moules, la forme désirée.
En travaillant de la sorte à son premier chapeau, une idée traversa lâesprit de Clément: «Et si je fabriquais des chapeaux contrefaits?» Il sâempressa de la repousser en pensant à Justine. «Si jamais je veux la reconquérir, songea-t-il, je ne peux me permettre dâerrer et de tricher. Ma fabrique de chapeaux produira de vrais chapeaux de castor.» Apaisé, il continua son travail, bien décidé à devenir le fabricant et le marchand de chapeaux de castor le plus célèbre du pays.
Pendant quâil travaillait, il causait avec le vieux Lachapelle et le faisait parler de son enfance.
â Comment vous est venue lâidée de vous faire chapelier?
â Oh, jeune homme, câest une bien curieuse histoire.
â Que vous voudrez bien me raconter.
â Jâavais dix ans à peine et jâaimais jouer des tours. Un beau dimanche à la messe, jâai vu que le bourgeois assis devant nous avait placé son chapeau sur le banc tout à côté de lui. Au moment où il allait se rasseoir pour le sermon, jâai tassé son chapeau de telle sorte quâil sâassoie dessus.
â Oh là là ! Oh là là ! sâexclama Clément, je vois venir la suite. Un chapeau nâa pas de pattes et ne peut bouger seul.
â Le bourgeois était furieux. Il tenait à la main son chapeau tout cabossé. Il se tournait de tous les côtés pour chercher un coupable. Comme il me regardait dâun air soupçonneux, une femme qui avait été témoin de ma manÅuvre lâa assuré que jâétais le coupable. La messe terminée, notre bourgeois mâattrapa par le chignon du cou et me dit: âTu ignores sans doute le prix dâun tel chapeau. Eh bien, tu vas lâapprendre. Tu me dois dix livres tournois.â Pendant tout ce temps, il me menaçait de sa canne. Si ma mère nâavait pas été là , jâaurais mangé la plus belle raclée de ma vie.
â Dix livres? Il nâen mettait pas un peu trop?
â Ma mère intervint: âCe chapeau ne vaut pas ce prix-là .â Le bourgeois monta sur ses grands chevaux. âTraitez-moi de menteur, madame. Votre sacripant de fils a fait que mon chapeau nâest plus utilisable. Il devra me rembourser dix livres.â Ma pauvre mère qui était veuve et gagnait notre pain en vendant des fleurs au marché était au désespoir. Dix livres, câétait une somme considérable.
â à qui le dites-vous! approuva Clément.
â Je ne savais trop que dire ni que faire. Pour me racheter, je dis à ma mère que jâallais ramasser moi-même les dix livres en question. âPauvre enfant, dit-elle, tu nâas que dix ans. Comment comptes-tu gagner tant de sous?â âJe vais faire des commissions pour le chapelier Dumouchel.â Il faut dire que nous vivions alors à Paris, rue de la Vieille-Draperie, à deux pas de cette chapellerie.
â Ah ça, alors! sâexclama Clément. Le chapelier Dumouchel, je le connais! Le monde est bien petitâ¦
â Vous le connaissez?
â Il y a quelques années, je suis allé chez lui en compagnie dâun marchand.
â Celui que vous avez connu était sans aucun doute le fils de celui chez qui jâai travaillé et fait mon apprentissage. Pour en revenir à mon histoire, figurez-vous que je me suis rendu chez le chapelier à qui jâai conté mon malheur, le suppliant de me donner du travail. Le bon monsieur mâaimait bien. Il mâa dit: âCe bourgeois dont tu as bossué le chapeau, tu saurais me dire où il
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