Le mouton noir
souhaitable quâelles puissent profiter un peu de sa compagnie. En leur présence, il se montrait désinvolte et ne manquait pas de leur raconter les péripéties de sa vie, ce qui enchantait les filles.
â Père, vous avez, paraît-il, pêché des baleines?
â Plusieurs! Pour leur huile et pour aussi, bien entendu, leurs fanons.
Il expliqua en long et en large comment on sâadonnait à la chasse de ces bêtes immenses et comment elles étaient utiles en raison de lâhuile à lampe quâon en tirait. Ses filles lâécoutaient avec beaucoup dâattention.
â Vous nâaviez pas peur dâelles?
â Ce sont des bêtes dangereuses, mais si dans la vie, nous nous empêchions dâagir par crainte quâun malheur survienne, nous ne pourrions même pas bouger.
Novembre approchait. Il fallait déjà chauffer pour sâassurer dâune bonne chaleur toute la nuit. Il se leva pour mettre des bûches à la fois dans lââtre et dans le poêle à bois dont il avait fait lâacquisition. Ils causèrent ainsi une bonne partie de la soirée, puis sâinstallèrent pour la nuit.
Ce fut Marie-Louise, dont le sommeil était léger, qui donna lâalarme. Le feu rongeait le mur derrière le poêle. Clément tenta vainement dâéteindre les flammes. Les filles se précipitèrent dehors et coururent jusquâau manoir. Quand, munis de seaux dâeau, Marie, Justine, Félicité et Abel arrivèrent à la rescousse, le pavillon était déjà réduit en cendres. Les deux ailes de lâédifice finissaient de flamber et le feu dévorait même le toit de la petite demeure qui avait jadis servi à loger les engagés. Noir de suie, Clément était assis sur une souche et regardait, hébété, ce qui avait été sa maison depuis des années.
â Allons! lui dit Justine, rien ne sert de rester ici. Nous allons nous assurer que le feu ne se répande pas dans les champs et nous regagnerons le manoir.
Comme sâil sortait de sa torpeur, Clément demanda:
â Les filles sont en sécurité?
à la réponse affirmative de Justine, il poussa un long soupir. Ils retournèrent ensemble au manoir. Lâincendie venait dâeffacer toute une page du passé de Clément. Du même coup, il lui fit prendre une résolution: celle de ne plus courir en vain à la recherche de la richesse.
â Je me contenterai désormais, promit-il à Justine, du salaire que je gagnerai.
â Pourquoi ne prendrais-tu pas ici la place de ton père?
Il resta quelques jours au manoir avec son épouse et leurs filles. Puis, un bon matin, ne voulant pas se lâavouer à lui-même, mais ne pouvant se résigner à vivre sous le même toit que sa sÅur, il dit à Justine:
â Verchères ne mâa pas porté chance, je retourne à Québec.
Quelques jours plus tard, après avoir mis sa barque en sécurité pour lâhiver, il partit.
Chapitre 37
Québec
Après toutes ces années dâerrance, Clément était heureux de se retrouver à Québec. Son premier souci fut de dénicher un endroit où dormir. Les auberges ne manquaient pas, et il choisit pour ce premier soir de se réfugier celle de LâHomme de paille. Tôt le lendemain, il se mit à la recherche à la fois dâun appartement et dâun travail. Lâun devant déterminer lâautre, il alla cogner aux portes des notaires de la ville espérant que lâun dâentre eux aurait besoin dâun commis aux écritures ayant quelques années dâexpérience. Il sâadressa dâabord sans succès au notaire Saillant, puis tour à tour aux notaires Moreau et Lévesque, lesquels nâavaient pas non plus besoin de commis. Il pensa avoir une chance auprès du notaire Courville, qui officiait pour les jésuites.
â Je vous prendrais volontiers à mon service si jâavais abondamment de travail, dit-il à Clément, mais à peine en ai-je assez pour moi, malgré le fait que je couvre toutes les seigneuries des jésuites autour de Québec.
â Auriez-vous en ce cas le nom dâun notaire à me suggérer?
â Avez-vous tenté votre chance auprès du notaire Lévesque?
â Oui!
â Attendez! Jây
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