Le mouton noir
parfumées de Françoise. Il en revenait immanquablement avec celles, brûlantes, du jeune de Lamirande.
Cet échange de courrier dura tout lâhiver. Au printemps, dès quâil fut possible de se déplacer plus aisément, René de Lamirande apparut à Verchères, et les bois et les champs autour du manoir débordèrent de dizaines et de dizaines de soupirs trop longtemps retenus. Le séjour du jeune homme fut lâoccasion de parler de mariage.
â Il faudra que père y soit invité, insista Françoise.
â Ãa sera fait, promit Justine, qui déjà sâattaquait à la confection de la robe de noce.
La cérémonie eut lieu à Verchères au début de lâété. La noce se tint dans les jardins du manoir, parmi les fleurs nouvelles. Elle fut remplie de musique légère et, le bon vin aidant, de beaucoup de rires. Françoise fut tout heureuse de compter son père parmi les invités. Il lui servit dâailleurs de témoin au mariage, inscrivant son nom à côté de celui de sa fille au registre de la paroisse.
Munie de son trousseau et forte de tous les conseils prodigués par sa mère et par Marie, Françoise gagna Montréal en promettant de revenir souvent, insistant pour que sa mère et sa sÅur fassent fréquemment le voyage de Verchères à Montréal.
Le départ de Françoise chambarda quelque peu la vie du manoir. Justine mesurait le vide laissé par sa fille. Elle se consolait toutefois à la pensée de ne pas perdre Marie-Louise, qui fréquentait Pierre Dumesnil, le fils du notaire de Varennes. Ce garçon terminait des études qui lui permettraient dâexercer le même métier que son père. Comme le lui avait dit Justine, si jamais il décidait de pratiquer à Verchères et aux environs, il nâaurait pas à se chercher un toit: lâétude qui avait été celle de Marcellin serait désormais la sienne. Marie nây voyait aucune objection. Il y avait longtemps quâon nâavait pas eu dâhomme au manoir, à part Abel. Si Marie-Louise y vivait avec son mari, le manoir renaîtrait et une autre génération y ferait son nid.
Le souhait de Justine et Marie se réalisa pour leur plus grand plaisir quand Marie-Louise épousa son jeune notaire. Une fois de plus, Clément vint de Québec assister au mariage de sa fille et lui servir de témoin. De Montréal arriva Alexandre, toujours célibataire, mais sur le point, à lâinstar de ses sÅurs, de fonder foyer. Françoise leur fit la surprise dâêtre présente malgré ses six mois de grossesse. Avant que Clément ne regagnât Québec, Justine lui dit:
â Je vais donner la chance à notre fille de bien sâétablir au manoir, après quoi, puisque tu me sembles maintenant tâêtre rangé, je te rejoindrai à Québec où, par mon travail, je pourrai sans doute me tirer dâaffaire.
Encouragé par les propos de Justine, Clément lui rappela:
â Nâoublie pas que jâai un appartement à Québec et que tu y seras toujours la bienvenue.
Justine calma quelque peu ses ardeurs en lui disant:
â Ne mettons pas la charrue avant les bÅufs. Laissons le temps nous dicter notre conduite.
Troisième partie
LE COMPLOT
(1748-1759)
Prologue aux deux dernières parties
Me voilà , moi, Joseph Perré, fils dâAlexandre Perré et petit-fils de Clément Perré, rendu là où je voulais arriver. Comme ils mâen avaient fait la demande, jâai pu, grâce aux informations obtenues dâun peu tous les membres de la famille, raconter les péripéties de la vie de mon grand-père jusquâà ce quâil parte pour de bon de Verchères pour regagner Québec, où la chance lui avait mieux souri quâau manoir de son père.
Au dire de ceux qui lâont bien connu à cette époque-là , mon grand-père Clément, qui avait toujours été considéré comme le mouton noir de la famille, changea du tout au tout. Il semble bien que son amour pour ma grand-mère fut à lâorigine de cette métamorphose. Elle lui avait toujours laissé entendre que sâil recommençait à se comporter honnêtement, elle accepterait de retourner vivre en sa compagnie. Le feu du pavillon de chasse joua également un rôle
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