Le mouton noir
de leur dernière sortie à la pêche, les hommes à qui il avait loué sa deuxième barque furent tués par la baleine quâils pourchassaient. La barque avait coulé et ceux qui la menaient étant morts, il ne put rien obtenir en compensation pour cette perte.
Chapitre 36
Retour à Verchères
Clément nâavait pas eu plus de succès à la chasse à la baleine que dans les autres commerces dans lesquels il sâétait lancé à corps perdu. La guigne sâacharnait. Il revint, penaud, à Verchères et sâinstalla dans le pavillon en se demandant anxieusement ce que lui réservait lâavenir. Une semaine plus tard, un homme à lâair quelque peu rébarbatif se présenta chez lui en disant:
â Jâai des questions à vous poser.
â Me direz-vous dâabord qui vous êtes?
â Armand Chaput, enquêteur.
â Enquêteur pour qui et pour quoi?
â Pour la Compagnie des Indes occidentales et pour savoir où vous étiez quand le magasin de la Compagnie a brûlé, à Québec.
â Où jâétais? à Kamouraska, à la chasse à la baleine. Ce sont des pêcheurs arrivés de Québec qui nous ont appris la catastrophe.
â Vous pourriez prouver ce que vous avancez?
â Nâimporte quand.
Lâhomme sembla satisfait des réponses de Clément, car il nâinsista pas.
â Tout ce que je voulais savoir, lui dit lâenquêteur, câétait si vous alliez me donner la même version que les autres.
Clément se montra affable et offrit à lâhomme, avec lâintention de lui délier la langue, un verre de guildive. Lâenquêteur accepta le verre, mais se montra hélas fort discret. Pour ne pas avoir lâair trop intéressé, Clément nâinsista pas et la conversation dériva vers dâautres sujets. Mais quand lâenquêteur fut parti, Clément poussa un long soupir de soulagement.
Pendant toutes ces années passées à bourlinguer et à courir dâun bord et de lâautre, Clément nâavait guère vu ses enfants grandir. Alexandre était maintenant un adulte qui terminait ses études de chirurgien barbier à Québec. Françoise devenait fort jolie et faisait tourner la tête des jeunes hommes durant la messe du dimanche à Verchères; certains se trouvaient même des raisons de venir au manoir, mais Justine et Marie veillaient. Quant à Marie-Louise, la petite dernière, elle allait sur ses quatorze ans et promettait dâêtre tout aussi belle et désirable que ses sÅurs.
Peu après le retour de Clément, Justine alla le trouver au pavillon avec lâintention bien arrêtée de savoir les plans futurs quâil échafaudait.
â Mon pauvre homme, lui dit-elle, la malchance te court après. Ce nâest pourtant pas faute dâavoir essayé de vivre décemment. Que comptes-tu faire à lâavenir?
â Je ne sais trop. Pour lâinstant, je vis des quelques sous que jâai mis de côté. Ce ne sont pas les revenus tirés des terres du manoir qui vont me permettre de vivre comme un prince. Il faudra bien me résoudre à gagner mon pain comme tout le monde, et la seule chose qui me permet de le faire, câest mon écriture. Les notaires de Québec ont toujours besoin de clercs. Je saurai bien y trouver du travail.
â Pourquoi pas Montréal?
â Parce que je connais mieux Québec pour y avoir vécu et, surtout, pour y avoir rencontré celle que jâaime.
Quelque peu interloquée, Justine se tut un moment. Puis, elle dit:
â Jâaimerais retourner à Québec. Quand les filles auront trouvé mari, ce qui ne saurait guère tarder, je ne détesterais pas me retrouver là -bas. Peut-être alors, si tu y as un travail honorable, pourrons-nous tenter dây vivre de nouveau comme mari et femme.
à en juger par la réaction de Clément, Justine comprit que ses paroles avaient touché leur cible.
Comme à chaque retour de leur père, ses filles allèrent le trouver et insistèrent pour coucher au pavillon comme elles le faisaient parfois. Justine ne sây opposa pas. Après tout, même sâil ne sâétait pas beaucoup préoccupé de leur sort, Clément restait leur père et il était
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