Le mouton noir
ces énormes mammifères. Ils se chargèrent de préparer eux-mêmes les harpons et les rouleaux de cordage quâon y attachait. Ils le prévinrent que quand un homme a le malheur de se trouver dans le chemin dâun de ces câbles au moment où la baleine harponnée décide de sâenfoncer sous lâeau, il risque dâêtre scié en deux.
â Il faudra bien manÅuvrer, lâavisèrent-ils. Il est arrivé que des pêcheurs, en sâapprochant trop près de la baleine, aient été broyés en même temps que leur embarcation par un coup de queue du monstre.
Quand, le lendemain, ils partirent à la recherche dâune baleine, Clément sentit un pincement au cÅur. Toutefois, dès quâils repérèrent leur proie, une baleine à bosse dâune quarantaine de pieds, il concentra toutes ses énergies sur le travail à faire. Il savait que sa vie, tout comme celle de ses compagnons, reposait sur ses épaules. Il suivit à la lettre les conseils de ses hommes qui le guidaient de façon sûre dans lâapproche de la bête. Toutes voiles tendues, ils voguèrent pendant plusieurs minutes parallèlement à la baleine, diminuant graduellement lâécart qui les séparait dâelle afin de permettre à un premier équipier de lancer son harpon. Après quoi, ils laissèrent lâanimal traîner la barque jusquâà ce quâil décide de sonder pour tenter de se débarrasser du harpon. Plus incommodée que blessée, la baleine continua sa course pendant tout près dâune heure avant de remonter à la surface pour prendre de lâair. à ce moment-là , ainsi que le lui avaient expliqué les Basques, il fallait redoubler de prudence. Dâun seul coup de queue, la bête pouvait faire éclater leur embarcation. Toutefois, en manÅuvrant habilement, Clément put sâen approcher de nouveau et, cette fois, les trois hommes lancèrent leur harpon. La baleine replongea vers les profondeurs. Ils la laissèrent nager à sa guise. De temps à autre, leur barque était violemment secouée, puis, peu à peu, ses blessures et la fatigue aidant, le cétacé finit par remonter plus rapidement à la surface. Aussitôt, un des harponneurs sâempressa de lui percer les poumons. Dès lors, le sang gicla par son évent; la bête était vaincue. Le plus gros restait à faire: il fallait la remorquer jusquâà la rive.
Dâautres barques vinrent les rejoindre et les hommes sâaffairèrent à passer des câbles sous lâanimal pour lâempêcher de caler. Les barques sâalignèrent de chaque côté de la baleine et des câbles furent attachés à chaque barque pour former une sorte de hamac dans lequel elle fut transportée jusquâà la rive, à marée haute. Plus tard, à marée basse, la bête échouée sur la plage fut dépecée.
Câétait une baleine à fanons, ces espèces de lames de corne si précieuses pour la fabrication des baleines de corsets et des formes servant aux robes paniers. La bête quâils avaient tuée pesait plus de vingt tonnes. Ils en tirèrent des dizaines de barils dâhuile.
Clément se félicitait dâavoir choisi de gagner sa vie ainsi. Mais, une fois de plus, il déchanta rapidement quand il vit ce que coûtaient la pêche et le dépeçage dâune seule de ces bêtes. Un nombre considérable dâhommes participaient aux divers travaux et se partageaient les revenus tirés de la vente des fanons et de lâhuile. Mais Clément se dit que sâil prenait part à la prise de plusieurs baleines, il avait des chances de revenir avec quelques centaines de livres en poche, dâautant plus quâil louait une de ses barques. Cette espérance de gain lâincita à passer lâété à se consacrer à cette pêche, avec tous les risques quâelle comportait.
Mais le malheur semblait le suivre à la trace dans tout ce quâil entreprenait. Alors quâil se louait dâavoir découvert ce moyen de gagner sa vie, il apprit que les fanons si précieux ne rapportaient désormais presque plus rien parce quâils étaient beaucoup moins en demande, les femmes abandonnant le port des corsets rigides et, surtout. celui des robes paniers. Bien plus, lors
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