Le mouton noir
pense, le notaire Barolet sâest plaint dernièrement du fait que lorsquâil devait faire ses tournées en Beauce, il négligeait ses clients de Québec.
â Où habite-t-il?
â Rue Saint-Pierre, dans la Basse-Ville. Vous trouverez facilement sa demeure en vous informant auprès des gens du coin.
Ce fut ainsi que Clément arriva chez le notaire Barolet en fin dâaprès-midi. Câétait un homme rond de partout, dâune grande gentillesse, qui écouta attentivement Clément lui expliquer ses déboires et son désir de reprendre un travail dâécriture.
â Vous me semblez, jeune homme, avoir de bons antécédents. Un fils de notaire peut certainement être un commis fiable. Je songeais justement à mâen trouver un, car de plus en plus mon travail mâappelle dans la Beauce et je perds des clients ici à Québec. Si cela vous convient, je vous prendrai volontiers à mon service. Votre travail ne vous accaparera pas trop.
â Je vous en remercie. Vous me tirez une épingle du pied. Vous nâaurez pas à vous plaindre de mon ouvrage.
Le notaire lui indiqua que lâappartement dâune veuve était à louer non loin de là . Clément sây rendit et le prit sans hésiter, puis il fit venir de Verchères son coffre et son armoire reçus en héritage.
Au manoir, la vie se déroulait paisiblement. Marie demeurait toujours attentive au bien-être de chacun. Elle devait voir à ce que le personnel vieillissant ne manque de rien, se préoccupant en particulier de la santé de la préceptrice, quâelle considérait comme sa seconde mère. Nicole Brouillard était très avancée en âge. Elle ne quittait plus sa chambre, où elle passait de longues heures dans un fauteuil à lire et à méditer. Elle répétait à Marie: «Je tue le temps en attendant quâil me tue.» Avec ses filles, Justine allait lui rendre visite tous les soirs. Elle avait été la préceptrice de tous les enfants de Marcellin et de Radegonde, de ceux de Fanchon et même de ceux de Clément et Justine. Marie disait: «Elle mâa beaucoup appris, et notamment que seul le travail bien fait donne les résultats escomptés.»
La vieille dame se désolait du fait que Clément ne semblait pas avoir gardé à son égard la même estime que tous les autres lui témoignaient. «Celui-là , se désolait-elle, est notre mouton noir.»
Pour lors, le mouton noir réclamait quâon lui expédiât son coffre et son armoire. Abel sâoccupa de faire charger ces meubles à bord de la charrette de Réal Jouvanceau, qui se rendait à Québec. En regardant la charrette sâéloigner du manoir, Justine eut le sentiment de voir disparaître Clément de sa vie et elle dit à Marie:
â Câétaient les seuls biens qui lui appartenaient encore au manoir.
Marie répondit dâune voix soucieuse:
â La vie est ainsi faite. Elle nâest quâune succession de départs.
Cette réflexion ne pouvait sâavérer plus juste. Le lendemain, quand, comme tous les matins, Marie se rendit à la chambre de la préceptrice, elle la trouva à jamais endormie. Sans faire de bruit, Nicole était morte au cours de la nuit, emportée dans son sommeil. Avec elle, une longue et intense page de vie venait de se tourner. Une fois de plus, Clément nâétait pas là pour assister à ce départ.
Chapitre 38
Françoise et Marie-Louise
à Verchères, la vie se poursuivit intensément, comme dans toute demeure où il y a deux filles à marier. Les prétendants ne manquaient pas. Plusieurs jeunes hommes trouvaient une infinité de prétextes pour inviter Françoise et Marie-Louise à tout ce qui ressemblait à un souper ou un bal. Les deux jeunes filles ne manquaient pas de participer à ces événements, et lâune comme lâautre succombaient déjà aux charmes de deux de ces courtisans.
Un soir avait suffi à René de Lamirande, jeune fils dâun marchand de Montréal de passage à Verchères, pour faire fléchir le cÅur de Françoise. Par la suite, un abondant courrier sâéchangea entre Montréal et Verchères. Abel avait la tâche de se rendre tous les jours au dépôt de la poste y expédier les lettres
Weitere Kostenlose Bücher