Le mouton noir
important dans sa décision de sâamender et de cesser de courir après une fortune insaisissable.
Il décida donc de se rendre travailler à Québec. Lui qui sâétait juré de ne jamais reprendre la plume mit son orgueil de côté et sâengagea comme commis aux écritures auprès du notaire Barolet. Mes tantes Françoise et Marie-Louise avaient trouvé mari. Ma tante Isabelle, établie aussi loin que la Louisiane, donnait très peu de ses nouvelles, aussi ma grand-mère Justine quitta Verchères pour Québec où elle avait passé de belles années. Elle cousait très bien et comptait pouvoir y vendre aux bourgeoises les robes quâelle créait.
Je mâapprêtais à continuer dâécrire lâhistoire de mes grands-parents quand, parmi les papiers quâon mâavait remis, je trouvai un manuscrit. Mon grand-père y faisait le récit de son séjour à lâemploi de lâintendant Bigot. Je me dis: «Qui pourrait mieux que lui-même raconter la suite?» Voilà pourquoi jâai décidé de vous faire prendre connaissance du contenu de ce précieux document. Mon grand-père Clément y fait dâabord quelques considérations sur ce que fut sa vie avant de travailler pour lâintendant:
Le 14 mars 1734, mon père, Marcellin Perré, mourait à son manoir de Verchères. Moi qui jusque-là avais peiné pour gagner ma vie et celle de ma famille, je pensais toucher ma part dâhéritage, ce qui, en raison de lâopiniâtreté de ma sÅur Marie, et, dois-je lâadmettre, des sages conseils de mon épouse Justine, ne fut pas le cas. Pour ne pas tuer la poule aux Åufs dâor que constituaient les terres et le manoir de Verchères, jâacceptai de ne recevoir quâune partie de mon héritage. Il mâétait préférable de toucher en rente chaque année la moitié des revenus générés par le manoir et ses dépendances plutôt que dâencaisser le montant global que jâaurais eu vite fait de dépenser, tout en mettant en péril la survie même du manoir.
Après que le feu eut détruit le pavillon de chasse dont jâavais hérité et qui constituait ma demeure, nâétant pas à mon aise de vivre au manoir sous le même toit que ma sÅur, je résolus de repasser à Québec afin dây travailler de nouveau comme clerc. Le notaire Barolet accepta de me prendre, ce qui, nos enfants nâétant plus avec nous, et ajouté à la rente annuelle provenant de mon héritage, mâassurait un bon toit et une vie convenable. Désireuse de reprendre notre vie commune, mon épouse quitta le manoir de Verchères pour se rapprocher de moi. Après quelques années au service du notaire Barolet, je me retrouvai par hasard à la maison dâété de lâintendant où mon maître mâavait prié de porter lâexpédition dâun jugement. à partir de ce jour, ma vie fut profondément bouleversée.
Est-ce par intérêt personnel, par curiosité malsaine ou tout simplement par souci de vérité quâà maintes reprises, on mâa incité à rendre compte par écrit de ces faits inusités? Je lâignore et tout cela me semble maintenant fort lointain.
Aujourdâhui, alors que le poids des années courbe mes épaules et me rapproche chaque jour de la terre, lieu de mon dernier repos, lâidée mâest venue de faire part des principaux événements qui ont tissé la trame de ma vie à compter du moment où je fus mêlé à la pire des fourberies dont les auteurs, fort heureusement, ont connu leur juste sentence, mais non sans quâau préalable mon nom et celui des miens soient traînés dans la boue et mêlés à ceux des pires forbans. Pour le rachat de mon honneur et le repos de mon âme, avant de plier bagage et de rejoindre les miens au-delà de ce triste monde, je me dois de faire part de ces événements dont le souvenir hante mes nuits.
Voilà pourquoi, avant de faire mes adieux à ce monde, je me suis enfin résolu à soulager ma conscience en racontant ces malheureux événements dont, si jâavais eu alors plus de courage, jâaurais peut-être pu faire dévier le cours. Hélas, mon silence craintif en aura fait pâtir plus dâun. Puisse ce
Weitere Kostenlose Bücher