Le mouton noir
dans sa manche.
â Ãa me fait penser à lâépoque de Bégon, dis-je. Il nageait souvent dans des eaux passablement troubles.
Mon ami tira une bonne bouffée de sa pipe en regardant le fleuve. Après avoir craché par terre, il murmura:
â Bégon et Bigot, deux noms qui se ressemblent, fit-il remarquer. Peut-être devons-nous nous attendre à pareille façon de procéder et à devenir de nouveau les dindons de la farceâ¦
Chapitre 43
La bande à Bigot
Déjà , ces bribes de conversation me donnaient lieu de croire que tout ce beau monde jouait gros jeu. Je résolus dâêtre sur mes gardes. Dès le lendemain, je mâaperçus rapidement du bien-fondé de ma décision. Je vis un homme que je ne connaissais pas entrer chez lâintendant. Ayant décidé dâaller écouter à la porte, je cherchai une façon de mâen sortir au cas où le majordome me surprendrait. Je me dis que je prétexterais un manque de papier et je mâapprochai de la porte interdite. Comme jây arrivais, jâentendis clairement ces paroles de lâintendant:
â Ils sont encore plus bêtes quâils en ont lâair, mon cher Estèbe. Je connais mille moyens de profiter de leur ignorance pour faire de nos petits pécules dâaujourdâhui nos fortunes de demain. Réfléchis un instant, nous avons ensemble le pouvoir, pourquoi nâaurions-nous pas aussi la richesse?
Comme je le pressentais, au même moment, je vis paraître le majordome qui se dirigeait droit vers moi. Je frappai à la porte. Le majordome arbora une expression interdite et fit demi-tour. Lâintendant mit du temps à répondre. Jâinsistai. Estèbe lui-même vint mâouvrir. Bigot parut contrarié par cette interruption et poussa un long soupir en tapotant le couvercle de sa tabatière. Je mâapprochai. Son visage allongea quand il mâaperçut. Il sâapprêtait sans doute à mâapostropher de verte façon quand je dis:
â Mes excuses, monsieur, je nâai plus de papier.
â Quâest-ce que cette histoire? Sâil vous manque de papier, demandez-en au secrétaire et ne venez jamais plus mâimportuner de la sorte.
Je fis le simplet.
â Câest que, quand il nây a plus de papier, je ne peux plus faire de copies.
â Allons, intervint Estèbe, disparais, va voir ton maître!
Il me poussa dans le corridor et claqua la porte derrière moi. Mon coup dâaudace mâavait bien servi, jâavais la preuve que mes soupçons étaient fondés. Il était maintenant certain quâils manigançaient pour faire fortune sur le dos du peuple. Pouvais-je avoir réponse plus claire à mes interrogations? Jâavais eu ma leçon avec Bégon. à compter de ce moment, je mâintéressai de plus près au va-et-vient de ces individus et au contenu de tout ce qui me passait entre les mains, ce que je nâavais pas toujours fait auparavant avec lâattention requise. Au besoin, je fis deux copies des documents me paraissant douteux, conservant une de ces copies au fond de mon coffre. Puis, après avoir fait part de mes doutes à Justine, je suivis son conseil. Il me fallait en savoir plus long sur chacun dâentre eux. Ce fut alors que je commençai mon enquête.
Quelques jours plus tard, avec le secrétaire Deschenaux, qui ne me comptait pour rien et me voulait fréquemment à ses côtés, jâassistai à lâarrivée de «la bande à Bigot», comme la populace se plaisait à nommer les créatures de lâintendant.
Le sieur Cadet se présenta le premier. Câétait un petit homme qui, je mâen rendis compte aussitôt, ne ménageait pas les courbettes et se montrait toujours prêt à rendre service. De caractère aimable, il savait attirer la sympathie sans laisser entrevoir la moindre fourberie. Pourtant, jâappris bientôt que sous ces dehors rassurants se cachait en cet homme une conscience élastique qui ne laissait pas de place aux scrupules. Son ambition lui avait attiré lâestime de lâintendant.
à peine eut-il mis les pieds au salon que sây présentait à son tour Michel-Jean-Hugues Péan, accompagnée de la Sultane, son éblouissante épouse, qui, pour un motif que jâignore toujours, peut-être
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