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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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sous-sol pour valoir un tel avertissement. Je me promis de prendre information auprès des autres serviteurs: ils avaient sûrement leur opinion à ce sujet.
    Ã€ l’opposé du salon, toujours au rez-de-chaussée, se trouvait la salle à manger où trônait une massive table de noyer de France avec une douzaine de chaises à sièges cannés. Les murs étaient ornés de tapisseries verdures de Flandre rappelant les verts tendres des forêts avoisinantes. Ce n’était que la maison d’été de l’intendant, mais rien de ce qu’il y a de plus beau ni de plus cher n’y manquait. Quelques armoires de pin s’alignaient le long du mur où s’ouvrait la porte menant aux cuisines, derrière lesquelles se trouvaient les quartiers des domestiques. Je connaissais déjà ce secteur pour y avoir déjeuné, mais le majordome insista pour me le faire visiter, dans le but évident de faire sentir son autorité aux domestiques.
    Ã€ l’étage, auquel on accédait par un escalier central, se trouvaient deux corridors donnant accès, d’un bout, aux chambres des invités et, de l’autre, aux appartements de l’intendant. Au centre, une pièce aménagée en boudoir servait d’antichambre au salon et à la chambre de l’intendant. Tout près se situait la pièce occupée tout le jour par son secrétaire, le sieur Deschenaux. Ce fut là que le majordome se dirigea. Après avoir discrètement frappé à la porte, il annonça:
    â€” Monsieur! Votre nouveau commis aux écritures.
    Un grognement se fit entendre de l’autre côté de la porte.
    â€” Fais-le entrer!
    Je pénétrai sans plus attendre.
    â€” Bonjour, monsieur, dis-je. Clément Perré, pour vous servir.
    Le secrétaire m’examina de pied en cap. C’était un homme aux cheveux gris, tout de noir vêtu. Il arborait sur la joue droite une tache de vin grande comme un écu. Ce fut d’abord tout ce que je retins de son visage étroit, puis j’aperçus, comme autant de surprises, ses deux oreilles déployées en feuilles de chou et son nez busqué où reposaient des lunettes dont les montures disparaissaient sous des sourcils broussailleux. Je restai ensuite fasciné par sa bouche tordue sur un menton en pointe de charrue.
    Après avoir feuilleté un moment un registre, il y écrivit quelques mots sans plus se préoccuper de moi, puis, semblant revenir sur terre, il me dit sans lever la tête:
    â€” Vous étiez clerc chez Barolet?
    â€” Oui, monsieur!
    â€” Ici, il ne faut pas poser de questions. Vous n’avez qu’à transcrire, rien de plus.
    â€” J’écrirai ce que vous voudrez, monsieur.
    â€” Faites ça, jeune homme, et vous n’aurez pas à vous en repentir.
    Sur ce, il m’indiqua une table sur laquelle étaient posés quelques plumes et un encrier. D’une armoire, il tira une liasse de papier neuf qu’il déposa sur la table.
    â€” À l’ouvrage, dit-il en me tendant un registre. Transcrivez-moi ces pages, que je vois ce que vous valez.
    Ce fut ainsi que je commençai mon travail au service de l’intendant Bigot.

    En m’engageant, l’intendant me garantissait une chambre à Beaumanoir, et au palais quand il l’habitait. J’avais aussi droit à tous mes repas avec les serviteurs. Comme j’étais marié, je demandai que Justine pût vivre également à Beaumanoir et au palais. Voilà pourquoi on accepta de l’ajouter aux servantes, ce qui la décida à quitter définitivement Verchères pour que nous reprenions notre vie commune.
    Le soir de ce premier jour à Beaumanoir, je m’entretins de leur travail avec les serviteurs. Je me rendis vite compte que la plupart d’entre eux soupçonnaient que tout n’était pas blanc dans la conduite de l’intendant et de ses acolytes. Ils ne le disaient pas ouvertement, mais des réflexions comme celle du cuisinier étaient éloquentes: «Il a plusieurs bras droits, ce qui fait plusieurs mains, beaucoup de bouches et beaucoup de bourses.»
    Mon expérience auprès de l’intendant Bégon m’avait mis la puce à l’oreille. Je résolus de protéger mes arrières. Pensant que ça pourrait m’être utile à un moment ou à un

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