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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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Québec: six cents barils de lard, trois cent cinquante d’eau-de-vie, cent de farine et quatre-vingt-quinze tonneaux de vin. Je mourais d’envie de savoir à quel prix ces denrées avaient été achetées et combien elles seraient vendues.
    Je dis à Justine:
    â€” Je suis certain que l’intendant touche un pourcentage sur tout ce qui se vend. Malheureusement, je ne suis pas en mesure de le prouver. Lui et ses amis Bréard et Péan s’enrichissent à nos dépens. Un jour, j’apprendrai combien ce commerce leur rapporte.
    â€” Même si tu savais tout cela, qu’est-ce que ça te donnerait?
    â€” Je pourrais enfin prendre ma revanche sur ces bourgeois qui m’ont jadis enlevé le pain de la bouche.
    â€” Je vois que tout cela t’est resté sur le cœur.
    â€” Comment pourrais-je oublier? Je suis persuadé que si la justice existe ici-bas, ces hommes devront payer pour toutes les souffrances que leur avidité sans borne nous a causées. Comme je travaille auprès de ces coquins, je ne veux pas risquer d’être emporté dans la même tourmente qu’eux. Voilà pourquoi je tiens tant à conserver toutes les preuves de leurs malversations afin de me protéger, le cas échéant.

Chapitre 51
Des registres contrefaits
    Puis, comme pour me confirmer dans mes doutes, arriva l’épisode des registres contrefaits. Il est bien connu qu’en l’absence du chat, les souris dansent. Connaissant bien les malversations auxquelles se livrait le commissaire Varin, je n’avais guère de mal à imaginer les tractations que menait cet homme sans scrupule. Aussi, je m’aperçus que dès son retour de France, l’intendant, qui n’avait sans doute pas la conscience tranquille, s’agita de belle façon. Pour demeurer dans la même veine de maximes, je dirais qu’il craignait que le chat sorte du sac. Redoutant que Varin ait découvert durant son absence ses manigances, Bigot décida de protéger ses arrières en faisant réaliser de faux registres. Ces transcriptions demandaient des heures et des heures de travail. Le secrétaire Deschenaux était débordé. Ne pouvant plus suffire à la tâche, il eut la bonne idée de faire appel à mes services. Qui mieux que moi, le petit commis aux écritures pas très futé, pouvait remplir cette tâche?
    Un beau matin, Deschenaux m’aborda avec toute la hauteur dont il était capable pour me dire:
    â€” À compter de ce matin, j’ai un travail particulier à te confier. J’ignore si tu vas être en mesure de l’exécuter.
    â€” Je veux bien le tenter.
    â€” Tu vas d’abord faire un essai.
    Il me remit une feuille sur laquelle il avait aligné une colonne de chiffres vis-à-vis desquels, à gauche, figuraient les quantités de diverses denrées. Il s’agissait pour moi de retranscrire toutes ces quantités en diminuant leur valeur de moitié. Je passai le test avec brio et désormais, je consacrai toutes mes journées à falsifier les registres officiels. Je risquais gros, mais j’avais aussi beau jeu puisque j’avais tout loisir de retranscrire des pages du premier registre et de les conserver pour ma défense éventuelle, ce que je ne manquai pas de faire.

    Depuis l’arrivée du gouverneur de Vaudreuil, Bigot et ses amis n’avaient plus les coudées aussi franches. J’ignorais ce qu’il avait fait, mais il me semblait bien que l’intendant et sa bande avaient perdu du pouvoir tant se multiplièrent les rencontres où les visages longs et préoccupés faisaient contraste avec les sourires d’avant l’arrivée du nouveau gouverneur. Puis je découvris, en voyant fleurir de nouveau le sourire sur leur visage, qu’ils avaient créé une société assurant le transport des vivres pour l’armée. Je mis bien du temps à savoir qui en faisait partie. Il y avait, bien sûr, Bigot lui-même, mais je finis par savoir que Péan, Bréard et Varin étaient du groupe, avec Estèbe et un certain Lamaletie qui se mit à paraître plus fréquemment au palais.
    Au jour le jour, je notais les allées et venues de ces tristes sires. Ce fut ainsi que j’écrivis dans mon journal: «Aujourd’hui, Varin est venu. C’est Péan lui-même qui

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