Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
Vom Netzwerk:
recommencé à fonctionner, par ordre de l’intendant. Pour rendre les choses encore pires, toujours sous le couvert de la guerre, Bigot fit rationner le pain dans les boulangeries. Justine m’arriva un beau matin en disant:
    â€” J’ai appris que nous ne pourrons plus manger que deux onces de pain par jour!
    â€” Nous allons crever de faim!
    â€” L’intendant a fait afficher l’ordonnance à la porte de l’église. Mais il y a encore pire: sais-tu qui est le seul à avoir le droit de recueillir le blé des récoltes, réservé exclusivement à l’armée?
    â€” Sans doute Cadet.
    â€” Oui! Lui et lui seul!
    â€” Dans ce cas, dis-je, je vais te demander un service.
    â€” Quoi donc?
    â€” Tu vas t’informer auprès des habitants combien ils ont obtenu pour un minot de blé.
    Elle me revint bientôt avec la réponse.
    â€” Ils m’ont tous assuré qu’ils n’ont touché que six livres.
    Quelques jours plus tard, le minot de blé se vendait vingt-quatre livres. Justine retourna voir les vendeurs de blé et leur fit signer une attestation écrite de ma main, comme quoi, pour leur blé, ils n’avaient obtenu que six livres le minot. Elle en fit autant auprès des acheteurs qui affirmèrent avoir payé leur blé vingt-quatre livres le minot. Toutes ces attestations se retrouvèrent au fond de mon coffre.
    La guerre et les misères du peuple n’empêchaient pas Bigot de donner des bals qui se terminaient par des orgies. Tout le gratin de Québec y était convié. Bigot jouait au lansquenet où il perdait régulièrement et engloutissait en une seule soirée jusqu’à mille cinq cents louis.
    Ce fut vers cette époque, alors que la population avait tellement besoin de nourriture, que des navires ravitailleurs accostèrent au port. L’intendant envoya ses hommes inspecter la cargaison. Huberdeau, qui avait suivi la manœuvre, me dit:
    â€” Ils prétendent que la nourriture est avariée. Crois-moi, j’ai trop vu de navires livrer des marchandises ici pour savoir que ces denrées sont en très bon état.
    â€” J’imagine que la cargaison va être détruite.
    â€” Penses-tu? L’intendant va leur en offrir un prix ridicule… Et tu me diras si j’ai raison, mais je mettrais ma main au feu que dès que les navires vont être retournés en France, toutes ces marchandises vont apparaître sur le marché.
    Huberdeau, une fois de plus, avait raison. Ces denrées rachetées par Bigot furent vendues sept fois le prix qu’il les avait payées.

    Bigot savait que les Anglais étaient en route pour attaquer Québec. Un jour, je fus témoin d’une de ses discussions, en plein corridor du palais, avec un émissaire venu au nom du général Montcalm réclamer des voitures afin de transporter des matériaux devant servir aux fortifications.
    â€” Mon bon ami, où voulez-vous que je trouve ces voitures? Les habitants qui en ont ne veulent pas les prêter. Les gens ne quittent plus leur demeure.
    â€” Vous êtes l’intendant. C’est à vous de voir à ce genre de fournitures.
    â€” Toutes celles dont nous disposons au nom du roi sont employées aux travaux de défense de la ville.
    Ce qu’il appelait des «travaux de défense» consistait à faire transporter divers matériaux afin de constituer des abris pour ses amis, et plus particulièrement pour madame Péan, à qui il fit construire une casemate résistant aux bombes.

    Nous étions dans la misère. Les nouvelles de la guerre s’avéraient de jour en jour plus mauvaises. Des palissades furent érigées un peu partout pour fermer la ville et des batteries de canons installées à tous les points qu’on jugeait névralgiques. Les Anglais remontaient le fleuve vers Québec, brûlant villages et récoltes sur leur passage. Leurs navires apparurent devant Québec au début de juillet de cette année 1759.
    L’intendant avait quitté Québec pour se réfugier au quartier général de l’armée, à Beauport. Le secrétaire Deschenaux l’y accompagna, mais je refusai de les suivre. À compter du 12 juillet, les Anglais se mirent à bombarder la ville à l’aide de bombes, de boulets et de pots à feu.

Weitere Kostenlose Bücher