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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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le moins qu’elle puisse faire! s’indigna un troisième. Elle a si bien travaillé l’intendant qu’elle a eu sa part du gâteau. Son mari va maintenant faire le reste.
    L’ordonnance fit rapidement son effet: la farine devint de plus en plus rare, ce qui provoqua l’augmentation des prix. Les soldats commandaient beaucoup de nourriture, ce que fit que les denrées se raréfièrent. Les prix des aliments grimpèrent de vingt-cinq à quarante pour cent. Le lait doubla de prix, celui des œufs tripla. Tout cela ne me rappelait que trop bien l’époque de l’intendant Bégon. L’un avait-il appris de l’autre?

Chapitre 50
Tout le monde en pâtit
    Il y avait maintenant près de dix ans que je travaillais auprès du secrétaire de l’intendant. Ce que je raconte ne doit pas faire oublier que le pays était en pleine guerre depuis plusieurs années. Les Anglais avaient résolu de conquérir la Nouvelle-France. Ils s’étaient d’abord emparés de l’Acadie et, pour s’assurer de ne pas avoir de troubles avec les habitants, ils avaient décidé de les déporter. Ils ne mirent pas de gants blancs pour exécuter leur projet.
    Après avoir été laissés pour compte sur les côtes de la Nouvelle-Angleterre, certains Acadiens gagnèrent les bois et remontèrent jusqu’à Québec. Ils nous apprirent de quelle façon les Anglais s’étaient comportés à leur égard. Je revois encore le dénommé Savoie, un beau vieillard, nous raconter, à Huberdeau et moi, dans son langage savoureux:
    â€” Le gouverneur de la Nouvelle-Écosse, ce mécréant menteur, nous a invités à une réunion. Il savait que nous voulions rester neutres.
    â€” Rester neutres, dit Huberdeau, ça voulait dire que vous ne vouliez pas vous soumettre au roi d’Angleterre?
    â€” En plein ça! On nous a fait venir pour écouter ce que le roi avait à nous dire.
    â€” Où se tenait votre réunion?
    â€” Dans l’église. Une fois qu’on a tous été là comme des morues dans les filets, ils nous ont fait prisonniers.
    â€” Ils vous ont mis en prison?
    â€” Oui, mais dans des vaisseaux. Ensuite, ils nous ont menés le long des côtes de Virginie et de Nouvelle-Angleterre et là, ils nous ont lâchés comme des veaux en pleine nature avec rien, à la différence que les veaux peuvent manger du foin, mais pas nous autres. Nous, on a pu remonter jusqu’icite, mais y en a ben qui sont morts de misère en chemin.
    Cet épisode était bien triste. Il fut suivi de plusieurs autres semblables. Au début, les troupes du général Montcalm parvinrent tant bien que mal à empêcher les Anglais de nous envahir, mais nous sentions bien qu’ils se faisaient de plus en plus menaçants. Ils apparaissaient un peu partout et ne manquaient pas de créer des brèches dans nos défenses.
    â€” Penses-tu, me dit Huberdeau, que la guerre fatigue Bigot et sa bande? Pas en toute, même que ça les arrange.
    â€” En quoi?
    â€” Ça leur permet de multiplier les moyens de faire des sous sur le dos du peuple et aux dépens du roi de France.
    Il avait raison, car je crois bien que ce fut au cours de cette période de troubles qu’ils remplirent le plus leurs goussets, s’enrichissant comme jamais par toutes sortes de stratagèmes. Sous prétexte de nourrir les soldats et de les approvisionner en armes et en munitions, ils s’évertuèrent à contrôler tout ce qui entrait de marchandises au pays. Ils s’accaparèrent le tout et le revendirent à leur profit jusqu’à vingt-cinq fois sa valeur. Il était évident que ça faisait le bonheur de Bigot, car, par des ordonnances, il encourageait ces détournements et les amplifiait, ce qui augmentait d’autant sa fortune. Tout cela je l’appris plus tard et je dirai dans quelles circonstances.
    Je continuais mon travail auprès du secrétaire Deschenaux. Les copies de documents se multipliaient et il m’en confiait de plus en plus qui me semblaient comporter des éléments compromettants. Je ne manquais pas d’en faire copie pour mes dossiers et le soir venu, je les lisais à Justine. Ce fut ainsi que je tombai sur la liste des denrées déchargées dans les magasins de

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