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Le mouton noir

Le mouton noir

Titel: Le mouton noir Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Langlois
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l’a accueilli. Réunion au sommet chez l’intendant. Pendant cette réunion sont venus les commis Estèbe et Lamaletie.» Le lendemain, ceci: «Nous apprenons que les sieurs Estèbe et Lamaletie désirent vendre leur magasin. Il paraît qu’ils ont liquidé un bon nombre de marchandises.» Une semaine plus tard, cela: «Les sieurs Bigot, Péan et Varin ont acheté le magasin qui, comme par magie, s’est tout à coup rempli des marchandises achetées par l’intermédiaire de Bigot sur les réserves de l’État. Il y a anguille sous roche.»
    Pendant que ces canailles affamaient le peuple, je savais que leurs bourses engraissaient à vue d’œil. J’avais beau me démener pour tenter de comprendre leur micmac, je n’y parvenais pas, jusqu’au jour où entra dans le jeu le munitionnaire Joseph Cadet. Il ne se présenta d’abord comme un négociant à l’achat de bestiaux pour son oncle. Il n’y avait qu’un fournisseur pour le roi à Québec, le sieur Dolbec. Lui seul avait le droit de débiter du bœuf dans la Haute-Ville, tandis que dans la Basse-Ville, le seul qui y était autorisé était le sieur Dupont. J’appris par Huberdeau une chose étonnante:
    â€” Sais-tu que Cadet a obtenu la fourniture de la viande pour l’État et le privilège exclusif de la boucherie publique?
    â€” Je l’ignorais.
    â€” Il détient le monopole sur tout ce qui touche la vente de viande. De plus, il vend de la farine, du vin et de l’eau-de-vie, sans compter qu’il fait le commerce de toutes sortes de marchandises avec la France. Nous sommes menés par une belle racaille.
    J’avais remarqué, dans une lettre que j’avais eu à transcrire, avant le voyage de Bigot et de Péan en France, que Cadet offrait au ministre de la Marine de fournir toutes les vivres dont le roi avait besoin pour ses soldats et ses administrateurs. Il n’y avait apparemment pas eu de suites à sa demande. Il revint à la charge, car passa sous mes yeux une autre demande de sa part en ce sens. Il offrait de fournir la ration dans les forts et les villes, de même que les denrées et les boissons dont le roi avait besoin à ces divers endroits pour ses soldats. Sa lettre, restée sur le bureau de Deschenaux, ne manqua pas d’attirer mon attention. Elle eut une suite heureuse, puisque Cadet obtint de fournir non seulement la viande, mais tous les aliments et tout le nécessaire pour les troupes du roi, cantonnées tant à Montréal, Québec et Trois-Rivières que dans les forts Frontenac, La Présentation, Saint-Régis, Niagara, Toronto, Saint-Jean, Saint-Frédéric, Chambly, Carillon, de La Presqu’île, Rivière-au-Bœuf, Rivière-Oyo, Miramichi et Gaspé.
    Tout cela demandait beaucoup de travail et de paperasses. Il fallait de plus en plus justifier les dépenses, parce qu’était entré en scène le marquis de Montcalm, le nouveau commandant des troupes, qui ne s’entendait guère avec Bigot et semblait avoir un œil sur tout ce qui concernait l’armée.
    â€” Tu vas voir, me dit Huberdeau, maintenant que son ami détient le monopole, le temps n’est pas loin où notre cher intendant va émettre des ordonnances et les prix de tous les aliments vont augmenter…
    Il avait tout à fait raison, car, à peine quelques jours plus tard, l’intendant émit une série d’ordonnances pour fixer le prix des denrées. J’écrivis dans mes notes: «Bigot fixe les nouveaux tarifs de viande de boucherie, le prix du blé, celui de la farine, et interdit toutes les exportations.» Je n’étais pas dupe. Tout cela me rappelait à s’y méprendre les exactions de Bégon.
    Je me rendais bien compte que si Cadet avait obtenu un tel monopole, il avait des associés qui se graissaient la patte sous la table, à commencer par Bigot. Mais comment le démontrer? Ce fut alors, comme on voit parfois paraître un bout de jupon sous la jupe, que cette supercherie laissa dépasser le bout de son nez. La Sultane et son mari rencontraient de plus en plus souvent Bigot. La belle Angélique passait toutes ses nuits au palais. Son époux était affairé comme jamais. Tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes.
    Mais voilà que tout à coup, les

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