Le neuvième cercle
chargé de réaliser son projet, Höttl, « le penseur politique » qui contrôlerait l’utilisation des coupures… il ne manquait qu’à découvrir « le fabricant ». Il était à cinq bureaux du général Jost, tout au fond du couloir.
Bernhardt Krüger dirigeait les ateliers de « faux papiers » des services secrets. Et ce jeune capitaine avait réussi l’exploit de sortir une série parfaite de passeports suisses, seul document considéré par l’Intelligence Service comme impossible à imiter.
Krüger et Naujocks se donnèrent un an pour réussir.
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— Dans lxxxvi les instructions secrètes de Heydrich à Naujocks, après que Hitler eut accepté le plan de falsification, il était dit notamment :
« Il ne s’agit pas à proprement parler de fausse monnaie au sens habituel du mot, mais bien plus d’une émission complémentaire non autorisée. Les billets de banque doivent donc être en tout point rigoureusement identiques aux vrais, en sorte que les experts britanniques les plus habiles et les plus qualifiés soient dans l’incapacité d’y relever la plus petite différence. »
— Le problème ainsi posé n’était pas facile à résoudre. Trois questions essentielles se posaient :
1. obtention d’un papier de même qualité ;
2. fabrication de clichés exactement semblables pour le dessin et la couleur ;
3. observance rigoureuse du système de numérotage des billets.
— Les difficultés étaient, on le voit, énormes et seul un homme d’un optimisme et d’une énergie imperturbables tel que Naujocks pouvait prétendre au succès.
— Pour établir la composition exacte du papier employé par la Banque d’Angleterre, on découpa un grand nombre de billets. Les morceaux ne portant aucune trace d’une impression visible, ou sensible au toucher, furent confiés à divers laboratoires, aux fins d’analyse. Les résultats furent décevants. Les six rapports qui nous parvinrent au bout de quelques semaines présentaient entre eux de notables différences. Il fallait recommencer sur une base plus large et ce fut au bout d’un temps assez long que nous connûmes exactement la composition du papier. Nous avions cru tout d’abord que les Anglais avaient mêlé à leur pâte des plantes ou des bois exotiques. Il s’agissait en fait d’un papier de chiffon d’une nature particulière. Le papier de chiffon est obtenu, on le sait, en déchiquetant à l’aide de machines spéciales des déchets de toile. La structure du papier dépend donc de la nature du matériau utilisé.
— Les recherches des laboratoires des écoles techniques allemandes avaient établi que la Banque d’Angleterre avait probablement employé des chiffons de toile pure, sans adjonction de cellulose. Le papier et le type des billets anglais de 5 livres et au-dessus n’avaient subi depuis longtemps aucune modification. Ils dataient du temps où l’addition de cellulose aux pâtes à papier ne se pratiquait pas encore.
— Naujocks dut reconnaître qu’on ne pouvait fabriquer le papier des billets autrement qu’à la main. Ce procédé n’est employé aujourd’hui que très exceptionnellement, et seulement pour la fabrication des papiers de luxe, dits à la cuve. L’Allemagne de 1940 ne comptait qu’un nombre très réduit d’ouvriers au courant de ce mode de fabrication et Naujocks n’avait pas prévu cette autre difficulté. Un nouvel essai de fabrication à la machine ne donna rien. Il était impossible ainsi d’obtenir le filigrane des billets anglais, sa netteté et ses ombres riches. Des faux-monnayeurs professionnels se fussent sans aucun doute contentés des papiers fabriqués par Naujocks. À titre d’expérience, on avait imprimé quelques billets sur ce papier et, à première vue, on ne pouvait pas les distinguer des vrais. Il fallait employer le microscope pour en relever les faiblesses.
— Naujocks se trouvait donc, bon gré mal gré, contraint de recourir à la fabrication à la main. Il fit rechercher dans toute l’Allemagne les ouvriers papetiers spécialisés. On s’imagine les difficultés qu’il rencontra. Il fallait des hommes de confiance, tous nazis éprouvés, même en admettant qu’on ne les mît pas au courant de l’emploi ultérieur des papiers qu’on les chargeait de fabriquer. Il était donc nécessaire de les réquisitionner, ce qui n’était pas facile et, parfois même, de les libérer du service militaire. Pour finir, on installa
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