Le neuvième cercle
« bord de cuve ». La masse qui restait collée aux matrices était déroulée sur des plaques de feutre d’environ un mètre carré de surface. Le dessin des matrices s’imprimait dans le papier, d’où le filigrane. On empilait les plaques de feutre de façon qu’une feuille de pâte fût toujours entre deux feutres. Puis on les portait par piles de vingt sous une grande presse. Une pression constante chassait lentement l’eau des feutres. Pour finir, on introduisait les feuilles de papier encore humides mais présentant déjà une certaine résistance dans un séchoir construit à cet effet. Le papier repassait à la presse à main. Il était prêt pour l’impression…
— Naujocks me montra aussi les planches et m’exposa les incroyables difficultés auxquelles il s’était heurté. Il avait fallu reproduire avec une précision absolue les caractères très enjolivés. Mais l’obstacle le plus grave avait été la gravure de l’image ovale dans le coin supérieur gauche des billets et que Naujocks avait baptisée « Britannia ». Il avait dû mettre au travail les cinq meilleurs graveurs d’Allemagne. On contrôlait chaque jour le travail par comparaison avec l’original d’images agrandies dix fois, projetées sur écran et étudiées point par point. Puis on procédait aux corrections. Rien d’étonnant à ce qu’il eût fallu sept mois pour obtenir une reproduction exacte de « Britannia ». Mais le travail avait été si bien fait qu’agrandis vingt fois on ne pouvait voir aucune différence entre l’original et la copie. Le graveur, un artiste, avait été largement récompensé.
— Les signes secrets de reconnaissance des billets originaux ne posèrent à Naujocks et à ses collaborateurs aucun problème spécial ; ils avaient été relevés dès le début et on les reproduisait sans difficultés particulières. C’est à leur absence que les experts reconnaissent, en général, le plus aisément les billets faux.
— Avant de passer à l’impression, il fallait encore étudier le système de numérotage des billets de la Banque d’Angleterre. À cet effet, il était nécessaire de connaître le nombre des séries émises et leurs dates. Tout billet faux devait avoir son correspondant dans les émissions anglaises. Tout devait correspondre : désignation des séries, numéros, dates d’émission, signatures. Toute fantaisie eût été aussitôt découverte par l’expert.
— Les dates d’émission s’étendaient sur une période de plus de vingt ans et à chaque date correspondaient plusieurs numéros de série. On ne pouvait naturellement pas graver une planche pour chaque date d’émission. Il fallait prévoir des corps de rechange pour les signatures et les numéros de série ; leur fabrication prit des mois. Il y avait cent cinquante séries et chacune d’elles comprenait les numéros de 0 à 100 000. Cela seul donne une idée de l’importance du travail. On ne fabriquait que des billets de 5 livres et plus, jusqu’à 1 000 livres. Toutefois, par prudence, les billets de 500 et de 1 000 livres ne furent pas mis en circulation. On n’utilisa qu’exceptionnellement ceux de 100 livres.
À la fin de 1940, tous les problèmes techniques étaient résolus. Dès lors, on ne fit plus que perfectionner et rationaliser. Une seule question laissait encore à désirer : on ne parvenait pas à donner aux billets fabriqués l’aspect du « vieux ». Il ne suffisait pas, à cet effet, de soumettre les billets à quelque procédé mécanique. Les billets de banque « portent leur âge » que seul le temps leur confère. L’huile de lin que contient l’encre finit par sécher quelle que soit l’excellence du papier. Le « trait » devient moins net ; les contours se brouillent. Il fallut de longues expériences pour trouver la solution du problème. On ajouta à l’encre certains produits chimiques qui provoquaient une pénétration plus rapide du papier, en sorte qu’il était désormais impossible de déceler sous la lampe de quartz la « jeunesse » du billet.
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1 er mars 1911. Zurich.
M. le directeur D…, propriétaire d’une usine d’accessoires ménagers et « honorable correspondant » pour sa ville, de Reinhard Heydrich demande un rendez-vous à son banquier dont il est l’un des meilleurs clients.
M. D… est embarrassé : un de ses acheteurs hambourgeois qui a l’habitude de régler en francs suisses vient de lui faire
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