Le neuvième cercle
groupe de déportés le plus rentable de toute l’histoire de la déportation… seuls peut-être les « détrousseurs » de cadavres d’Auschwitz ou Tréblinka firent mieux… mais ils étaient plus nombreux.
Le capitaine Krüger s’approcha du matricule 93 594.
— Bon voyage ? Venez donc par ici, nous allons parler d’un sujet qui va vous passionner.
Les deux hommes s’enferment dans une pièce nue. Une table et deux tabourets.
Kruger ouvrit son portefeuille.
— Vous connaissez ça ?
— C’est un billet de 20 livres !
— Regardez ! Tournez et retournez, prenez votre temps.
— C’est un billet de 20 livres.
— C’est tout ce que vous trouvez à dire. Vrai ou faux ?
Smolianoff hésita.
— S’il n’est pas vrai il est parfaitement imité. Mais je ne suis pas un spécialiste des « livres »… Il me faudrait comparer, avoir plus de lumière, une loupe, un microscope.
— Il est faux ! Ne cherchez plus. Parfaitement, totalement faux, les plus grands experts, les Suisses et les Britanniques s’y sont laissés prendre.
Krüger tendit un billet de 10 dollars.
— Nous voici dans votre spécialité. Le « dollar », vous en avez fabriqué et écoulé pour un bon million si j’en crois votre dossier judiciaire et les articles de presse. Vous avez été recherché par les polices de dix-sept pays. Un record ! Et c’est pour cela que vous êtes dans un camp. Vous avez été condamné ?
— À Munich ! En 1932 !
— Pour ?
— Pour trente ans.
— Alors, ce billet ?
— C’est comme pour la livre… S’il n’est pas vrai il est parfaitement imité. Il me faudrait…
— Il est vrai ! Nous avons mis plusieurs années pour réussir nos livres, vous n’aurez que quelques mois pour réussir vos dollars…
*
* *
Juin 1938. Vienne.
Wilhem Höttl lxxviii , étudiant sans fortune, prépare l’agrégation d’histoire à l’université de Vienne.
— J’avais lxxix choisi pour ma thèse un sujet tiré de l’histoire des Balkans. Je reçus une lettre dans laquelle un certain M. Naumann me demandait d’aller le voir. Il se donnait le titre de « Führer du secteur Danube », institution qui m’était tout aussi peu connue que M. Naumann lui-même. D’autre part, je savais que le contre-espionnage allemand et le service secret politique, depuis leur installation à Vienne, en mars 1938, s’efforçaient de recruter des experts de ce qu’ils appelaient le « Sud-Est ». Ils avaient déjà approché quelques-uns de mes collègues de la faculté et il se pouvait qu’ils eussent, par leur intermédiaire, connu mon nom, celui d’un jeune historien spécialisé depuis quelque temps déjà dans les questions balkaniques. M. Naumann me reçut en civil, dans l’ancien bureau de travail du baron de Rothschild dont le S.D. occupait le palais.
Naumann, antenne du S.D. en Autriche, avait pour tâche première le recrutement d’agents « secrets ». Höttl ne semble pas s’être fait prier pour se laisser convaincre :
— Après lxxx l’annexion de l’Autriche en 1938, j’entrais volontairement au S.D. Je sortais du mouvement national-catholique de la jeunesse et je me suis assigné le but de donner à mon pays une orientation politique modérée.
Un an après sa première entrevue avec Naumann, Höttl « grille » les étapes :
— Au lxxxi cours de l’été, je fus nommé délégué du Service pour le Sud. En cette qualité, j’avais autorité sur tous les postes de ce service en Autriche, en Bavière et dans le protectorat de Bohême et de Moravie.
10 août 1939. Berlin.
Cou de taureau, front de buffle, une musculature à couper le souffle à tous les lutteurs de la création, Helmut Naujocks fait antichambre dans les bureaux de « son ami » Reinhard Heydrich. Tous deux se sont connus à Kiel… Heydrich commandait les S.S. et Naujocks lui servait de « gorille ». Naujocks, qui avait gagné une quinzaine de blessures sérieuses dans les combats de rue contre les « opposants » du Parti, ne se contentait pas de son effigie de « Monsieur Muscle » ; il savait allier la « tête et les jambes ». Lorsque Heydrich quitta Kiel, il emporta Naujocks dans ses bagages : une précieuse acquisition qui débordait d’imagination et ne laissait à personne d’autre le soin de « passer aux actes »… ainsi :
— Le lxxxii 10 août 1939, Heydrich, le chef de la Sipo et du S.D., m’a ordonné personnellement de
Weitere Kostenlose Bücher