Le neuvième cercle
différentes valeurs (5, 10, 20 et 50 livres). Mais les ateliers étaient également outillés en vue de la confection des documents énumérés ci-dessous :
— Cartes d’identité en usage dans les formations militaires britanniques, certificats justificatifs de la citoyenneté américaine, cartes de membre de la police d’Alger, lettres de service opposables aux commandants de navires américains, contrats d’achat au Brésil, extrait des registres de l’état-civil hollandais, de même qu’une foule d’autres pièces officielles recevables dans tous les États du globe. C’est ainsi en particulier que le matériel en service avait permis la reproduction de vingt-cinq millions de bons émis en Yougoslavie à la suite de l’emprunt de guerre lancé par le gouvernement Tito. Le tirage de ces « valeurs » s’était fait en trois couleurs différentes. Tout cela parallèlement à l’édition portant sur des milliers d’unités, de vignettes de propagande à l’effigie de Staline et du roi George de Grande-Bretagne…
Le block de « travail » était divisé en plusieurs sections :
— une imprimerie équipée de machines extrêmement perfectionnées ;
— un atelier de photocopie ;
— un atelier de photographie ;
— un atelier de retouches ;
— un atelier de reliure ;
— un atelier de composition et de gravure ;
— un atelier spécialisé dans le triage des billets de banque.
Le numéro des séries et la nature des signes secrets figurant sur la monnaie fiduciaire anglaise faisaient l’objet d’une attention soutenue avant d’être indiqués au S.S. Sturmbannführer Krüger, principal gérant de la production. Ces points de repère devaient être également soigneusement étudiés par les artisans chargés du travail d’imitation, car la finition des opérations était soumise à un contrôle minutieux de la part des techniciens du S.D. Cette surveillance continue et sans défaut excluait toute velléité de malfaçon volontaire. En désespoir de cause, les responsables s’ingéniaient à provoquer, à tout le moins, un ralentissement au débit. Pour ce faire, ils faisaient croire, par exemple à leurs geôliers, que par suite de circonstances atmosphériques défavorables (chaleur excessive ou froid trop sec), les machines ne pouvaient pas tourner aussi longtemps sans risquer de compromettre la qualité des tirages. Et comme les gardiens n’entendaient rien à la chose, ils donnaient régulièrement dans le panneau.
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— À mon arrivée xc je fus affecté au service du triage-épinglage des billets ; équipe de jour (deux équipes travaillant jour et nuit). Mon travail consistait avec d’autres camarades à trier les billets ayant des défauts d’impression, faire des trous d’épingles et les plier en quatre. De là, ils passaient à la table voisine où on les froissait, les repliait, les salissait avec de l’huile, de la suie, de la poussière ; puis à une autre table, mise en paquets d’un nombre déterminé pour ensuite être mis dans des caisses spéciales, à pans amovibles. Autrement la vie était celle du camp. En général, les représailles et punitions un peu moins dures. En cas de mauvais travail ou de non-satisfaction de nos gardes, on faisait du sport jusqu’à exténuation, jusqu’à en être malade. Confinés dans notre petit camp, on en sortait rarement, deux fois par mois, pour aller aux douches et, de temps en temps, à la visite médicale. Mais, pour ces sorties, visites et fouilles systématiques, aucun bout de papier, ni crayon étaient tolérés. Différence avec d’autres « kommandos », on portait les cheveux en brosse, vêtements civils et nous avions droit à la ration « travailleurs de force », c’est-à-dire une tranche de pain, deux rondelles de saucisson ou un peu de margarine par jour, en supplément de notre pitance. De temps en temps, pour égayer ces messieurs S.S. de garde, on avait le droit de se réunir à l’atelier pour leur offrir une soirée récréative, exécutée par nous : chants, danses, musique sur des instruments, notamment violons (ayant des Roumains et des Hongrois avec nous).
— Le travail xci que les autorités de ce « kommando spécial » du R.S.H.A. exigeaient des déportés n’était pas, en lui-même, extrêmement débilitant. Les méthodes d’extermination en vigueur dans les autres « kommandos » n’y avaient pas cours et les gardiens se conduisaient en général
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