Le neuvième cercle
de façon tout à fait acceptable. La nourriture, si elle n’était pas tellement plus abondante que dans les autres formations du camp d’Oranienburg, était par contre mieux préparée et entourée d’un souci d’hygiène. En outre, les imprimeurs bénéficiaient de plusieurs avantages dont la seule évocation aurait à coup sûr confiné à l’irréel aux yeux de la masse des concentrationnaires. Ils pouvaient, par exemple, consulter tous les jours le « Volkischer Beobachter », entendre sans quitter leur machine les nouvelles diffusées à chaque instant par l’Agence de presse allemande grâce à la présence d’amplificateurs installés dans les ateliers, jouer aux échecs, aux cartes ou au ping-pong. À tel point qu’il n’était pas rare de voir l’un d’entre eux rivaliser d’adresse dans une partie de tennis de table avec le Hauptscharführer Werner. Et Burger, lui-même, qui excellait dans la pratique de ce sport, ne se fait pas faute de s’étendre aujourd’hui sur certains matches disputés avec ce porte-férule… qu’il battait régulièrement à plate-couture ! Ce n’étaient d’ailleurs pas là les seules marques de faveur auxquelles ces dépositaires de la magnanimité germanique consentaient envers certaines catégories de leurs esclaves. Dans le cadre de cette section du R.S.H.A., on alla même jusqu’à autoriser le montage de spectacles de cabaret, de représentations théâtrales ! Et les hommes du S.D. ne dédaignaient pas d’honorer de leur présence des divertissements d’où une haute tenue artistique n’était pas toujours absente… Un jour, à l’issue d’une séance particulièrement réussie, Krüger se crut obligé de monter sur la scène improvisée pour adresser à son auditoire le petit discours suivant :
— Il m’est agréable de constater l’excellence de vos dispositions. Je puis donc vous assurer qu’il n’arrivera rien tant que vous continuerez à vous montrer raisonnables. La guerre se terminera bien un jour. Ce jour-là, vous pourrez quitter ces baraquements. Mais il faut que vous compreniez que nous ne pouvons pas vous garantir la liberté pleine et entière. Le travail que vous accomplissez ici doit rester à tout jamais un secret pour tout le monde. Cependant, je le répète : vous n’avez rien à craindre. On s’occupera de vous. Vous aurez à votre disposition de belles villas pourvues de jardins ; tout ce qui est nécessaire au bonheur de l’homme – y compris les femmes, vous l’aurez. Évidemment, vous ne serez pas autorisés à vous mêler au reste du monde. Mais d’un autre côté n’oubliez pas que j’ai sauvé la plupart d’entre vous d’une mort certaine et reconnaissez que votre sort pourrait être pire. Continuez à travailler et vous aussi vous partagerez les fruits de notre victoire !
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27 mai 1942.
La Mercédès aux ailes enrubannées de fanions S.S. et du drapeau de la régence du Reich ralentit en abordant le dernier virage avant les faubourgs de Prague. Les deux ouvriers en bleu de chauffe attendaient à la sortie de la courbe. Ils rejetèrent leur musette en arrière et probablement sourirent. Une chance inespérée ! La voiture était décapotée. Heydrich fixait la route. Il en connaissait chaque nid de poule. Moins de 10 kilomètres séparaient sa « résidence provinciale » du château impérial de Prague qui abritait ses services et ses fichiers.
L’ouvrier tchécoslovaque, Josef Gabeik lâcha sa bicyclette et bondit vers la voiture, revolver au poing. Dès le premier coup de feu, le chauffeur lâcha l’accélérateur. Heydrich hurla et se leva.
Dans la main de Jan Kubis, tapi un peu plus loin, dans le fossé, une lourde grenade-bombe, dont l’explosion était réglée à sept secondes. Kubis ne la lança pas mais la fit rouler comme une boule de pétanque. Heydrich tirait. Il blessa légèrement Gabeik. La charge quadrillée arrivait à la rencontre du cochonnet. Kubis et Gabeik se plaquèrent au sol. Avant d’être parachutés en Tchécoslovaquie ils avaient répété cent fois peut-être l’attentat dans une école spéciale des commandos en Grande-Bretagne… Tout se déroulait ici trop parfaitement. La bombe roulait, elle allait dépasser la voiture… Non ! elle explosa sous le châssis. Les deux hommes enfourchèrent leur bicyclette et disparurent dans un nuage de fumée. Kubis, à la seconde même de l’explosion, avait décapsulé deux pots fumigènes.
Heydrich eut
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