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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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prend de l’ampleur. La route est tracée tout autour du chantier et elle permettra bientôt la circulation de lourds camions de grumes. Pour l’instant, nous procédons à la mise en place de l’assise de grosses pierres. Puis nous remplissons tant bien que mal les interstices avec des pierres plus petites, puis des petites, du gravier et enfin du sable. Et avant d’y passer le rouleau, nous arrosons la future route avec une « tonne » que nous traînons à six ou huit. Tout le matériau doit être amené par nous, à pied d’œuvre. Nous utilisons brouettes, pelles, fourches ou nous transportons les pierres à l’épaule. Nous devons, auparavant, les décharger des wagons. Je me souviens de ce que, le 2 juillet – un dimanche, jour où nous avons écrit pour la première et dernière fois à nos familles, je reçus une des plus magistrales corrections qu’il m’ait été permis de voir donner ! Devant travailler au block, je refusai au kapo espagnol de travailler avec lui au « Lagerbrau » (aménagement du camp). Blanc de colère, il me frappa si violemment que même « la Danseuse », la jeune brute polonaise qui ne cédait à personne en cette matière, me retira de ses mains. Le lendemain, je ne pouvais marcher qu’en m’appuyant sur deux camarades et j’étais couvert de bleus et de meurtrissures. Au travail Georg m’aperçut et je fus l’objet de sa sollicitude particulière : « Komm hier, mensch ! Kom hier, scheisse hund ! » Et il me confia le déchargement de la moitié d’un wagon de pierres, l’autre moitié étant confiée à deux camarades valides. À 16 heures, j’avais fini en même temps qu’eux et j’étais « dérouillé », leste et souple et je ne sentais plus aucune douleur. C’est à peu près à cette date que Georg le 1 816, reçut de nous le surnom de « Scheisse hund » (chien merdeux), son insulte favorite. Plus simplement, nous l’appelions aussi « le chien ».
    — La pluie revient comme un leitmotiv dans ce récit. C’est que le travail se faisait sous une pluie incessante et il est difficile d’évoquer telle période sans y ajouter le souvenir de la pluie. Un rayon de soleil arrive rarement à nous dégourdir, jamais à nous donner la vigueur nécessaire. Nous travaillons dans une boue gluante où nous laissons nos galoches. Et les invectives, les coups, les injures ne cessent de s’abattre sur nous. Nous maudissons les hommes et le ciel hostile, nous sommes les bagnards à qui est fait le sort le plus dur que l’on puisse imaginer, nous sommes traités de façon plus terrible qu’aucun galérien ne le fut jamais. Tout est contre nous, même l’espoir, et il nous faut une dose de patience et de courage inépuisables pour ne pas désespérer, et qu’à la dégradation physique de nos corps amaigris ne vienne s’ajouter aucune défaillance morale ni cérébrale.
    — Juillet-août. La construction de la route alterne avec des travaux de terrassement d’un autre genre : creusement de longues et profondes tranchées destinées, parait-il, aux conduites qui viendront de la centrale, pour l’installation du chauffage dans les divers ateliers de l’entreprise. Nous aurons, ensuite, à bétonner ces tranchées. J’aurai à y revenir.
    — Dans cette plaine danubienne, faite d’alluvions, de dépôts sédimentaires, le sol est sans cesse miné, sapé par les eaux d’infiltration ; telle la tapisserie de Pénélope, notre travail ne sera jamais terminé. Chaque matin, à l’arrivée sur le chantier, nous constaterons les effets de la pluie de la nuit, des éboulis continuels, des comblements dix fois répétés malgré un étayage savant et solide. La tranchée s’élargit chaque jour. Peu importe, nous arrivons quand même à un résultat : celui d’avoir un travail qui n’est plus contrôlable, ce qui nous permet de nous camoufler à tour de rôle dans le fond des tranchées, pendant qu’un camarade, juché sur le tas de gravier qu’il épand, fait le guet. Condition indispensable de notre sauvegarde, obligation vitale : ne jamais se fatiguer au-delà de nos possibilités, ne jamais tenter d’en faire plus qu’on ne peut, par peur ou pour toute autre raison, jamais dépasser, ni même atteindre notre réserve de forces. Combien n’ont pas su s’économiser ne l’ont pas compris, qui croyant encore à la force de leurs muscles d’antan, simplement entretenus par la maigre pitance journalière, se sont littéralement

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