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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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les membres déchiquetés ont été à peine décrochés des arbres à notre arrivée au camp.
    — Ce dernier est bouleversé, mais surtout le grand garage est détruit et fume encore. Nous n’y sommes plus depuis quelque temps, ayant été installés dans le bâtiment central, confortable, de la caserne. L’eau est coupée, il n’y a pas d’électricité. Pas de soupe non plus et cela pendant trente-six heures.
    — La nuit du 9 au 10 juillet 1944 restera présente dans l’esprit des rescapés, comme étant celle au cours de laquelle se sont déroulées des scènes d’une sauvagerie inouïe. Le dimanche 9, au matin, appel général, nominatif et non numérique, ce qui ne se produit jamais. On veut connaître, par ce procédé exceptionnel, par déduction, les noms des victimes non identifiables. La journée se passe sans autres tracas, par un temps splendide. Coucher comme d’habitude, vers 9 heures du soir. À 11 heures, dans l’obscurité la plus complète – le courant n’a pas été rétabli, le ciel est d’un noir d’encre et l’orage menace – nous sommes chassés de nos lits à coups de schlagues par les kapos et autres seigneurs devenus collectivement fous, et sans que l’on nous donne le temps de nous habiller, nous sommes chassés, pieds nus et en chemise, hors des blocks et précipités littéralement dans l’escalier. Tout le monde court dans la cour, et malgré l’obscurité, l’habitude aidant, le rassemblement se fait assez rapidement, par blocks, aux emplacements habituels sur la place d’appel, l’ensemble tourné vers la porte du camp.
    — Les seigneurs sont là, les S.S. ont leurs sicaires, munis de torches électriques ou de lampes de mineurs qui dansent dans la nuit.
    — Le bruit court que le commandant, le Lagerführer Lüdorf, a « cru » voir en ville un Häftling. Re-appel, le dixième peut-être depuis vingt-quatre heures. Il se fait dans l’obscurité de façon bien simple, étant plus un comptage qu’un appel, et ne devrait pas présenter de difficultés. Par rangées de dix, nous donnant le bras, nous sommes comptés par les S.S. qui passent devant nous. La rangée terminée, un long pas en avant ; cela continue ainsi jusqu’au bout non sans que, bien entendu, on recommence plusieurs fois. Français, Russes, Espagnols, Grecs, etc. s’en tirent sans trop de mal. Il n’en est pas de même des Juifs. Ils sont à part. Toute la masse des Juifs (ils sont près de deux mille) prise d’une terreur panique, est agitée de mouvements d’avance et de recul incompréhensibles. Dès le premier rang, l’avance d’un pas se fait mal. C’est alors un déchaînement de fureur brutale, de violence, de sadisme qui déferle sur les « Juden » complètement affolés, dont lu terreur se traduit par une désorganisation des rangs et un désordre indescriptibles. Pas un qui ne reçoive des coups. Et cela dure et se prolonge. C’est alors que l’orage éclate. Jusqu’ici, la chaleur était étouffante, ce qui n’était pas fait pour calmer les nerfs de nos bourreaux. Le tonnerre grondait et de larges éclairs déchiraient la nuit. Un déluge d’eau s’abat sur nous, s’ajoutant au déluge des coups qui tombent sur les Juifs. On nous crie de nous serrer les uns contre les autres, nous qui sommes sans vêtements, en chemise, la plupart sans chaussures. Sous un déversement de cataracte qui augmente la fureur des soldats et des kapos, les coups redoublent et deviennent plus durs sur les Juifs qui sont jetés à terre, piétinés et frappés, encore frappés, toujours frappés. À chaque éclair, on voit le sang ruisseler, vite lavé par l’averse. Dans le tonnerre, on entend des hurlements de terreur et de douleur, des cris de rage des bourreaux. Quand seront-ils donc fatigués ?
    — Nous assistons alors, impuissants, à cet assassinat collectif qui nous étreint le cœur. Combien de pauvres Juifs seront morts des coups reçus ? Beaucoup devront à la suite de cette scène d’épouvante être transportés à leur block. De longs jours encore nous rencontrerons dans le camp des visages tuméfiés, des crânes fendus, des vêtements tachés de sang, témoignages douloureux des actes de sauvagerie de cette nuit dantesque.
    — Beaucoup plus que les coups, peut-être, tout au moins autant que le manque de nourriture, le manque de sommeil, aggravé par ces appels imprévus en pleine nuit, le stationnement prolongé debout, sans avoir le droit de s’asseoir,

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