Le neuvième cercle
retardataire aura réussi à confectionner son paquet que le kommando rentre au block ; c’est-à-dire cent cinquante hommes entièrement nus qui sont restés aux intempéries près d’une demi-heure. Ces nuits-là, on ne dort pas. Les vêtements ne reviendront pas avant trois ou quatre heures du matin, souvent juste à l’heure du réveil du camp, et il faut être là pour les recevoir et retrouver son paquet sinon on peut être sûr de la disparition d’une pièce essentielle, pantalon ou pull-over ! Intelligente et utile institution que cette désinfection dont le grand maître est le « commandant » Renault qui a trouvé, là, ce que beaucoup considèrent comme une planque. Il est gentil Renault ! Passant un jour à proximité de la désinfection, je l’aperçois parlant avec un camarade. Je l’interpelle. Il ne répond pas. Je l’interpelle à nouveau et il me fait cette désarmante et inattendue déclaration : « Attends mon vieux ! Tu vois bien que je suis en conférence ! » J’en reste éberlué. Donc cette désinfection est utile. Oui ! à condition qu’elle soit bien faite et que tout y passe simultanément. Mais les hommes, les vêtements, les couvertures, les paillasses sont pleins de poux et seul l’un de ces quatre éléments passe à la douche ou à l’autoclave, les paillasses, en tout cas, n’étant jamais épouillées, si bien que, quelques heures après, on est à nouveau envahi par les poux et tout est à refaire… dans quelques semaines. En attendant, on tue chaque jour ses poux !
— Une fois par semaine, le mercredi en général, visite des coiffeurs, un ou deux qui s’installent dans les couloirs du block et doivent raser les quatre cents hommes du block en deux nuits, assistés de deux ou trois friseurs bénévoles. La difficulté consiste à passer de bonne heure, avant l’heure du coucher, pour ne pas être obligé de se relever, pour faire la queue en pleine nuit. Combien de fois, à l’heure du départ au travail, vers 5 heures, le coiffeur n’est-il pas venu sur la place d’appel, avec son blaireau et son rasoir, pour gratter la peau de quelques récalcitrants ou de quelques retardataires, dont la barbe de quatre jours est suffisante pour provoquer la colère de l’adjudant S.S. avec toutes les conséquences pour le coiffeur et le coupable. La deuxième séance de rasage aura lieu le dimanche suivant. Ah ! on sait ne pas s’ennuyer dans les blocks !
— Autre distraction, le soir : la corvée de lavage de la chambre, deux fois par semaine, après le coucher des camarades jusqu’à 11 heures ou minuit. Franz Walknuscher – il le paiera cher ! le kapo, est particulièrement friand de celle corvée – pour les autres, et il en charge volontiers les Français. Cela leur fera toujours trois heures de sommeil en moins ! Ce même Franz, Autrichien naturalisé Français, qui nous pille notre nourriture (et il est aidé en cela par trois Français : n’est-ce pas A… Georges, Tr…, Marcel P… ?) nous interdit de rentrer dans la chambre avant que lui et ses petits copains aient fini d’aménager les portions en rognant dessus, en prélevant la margarine flottant sur la soupe, etc.
— Et les Français (nous ne sommes que des Français dans les chambres 4 et 5) sont ensuite admis à entrer, chaussures à la main et gratifiés, au passage, par Franz que ne désavouent point ses amis de : « Français, race pourrie, race dégénérée. » Volontiers, il nous frappe.
— Il y a aussi les séances supplémentaires imprévues de dressage des concentrationnaires non encore au point. Y a-t-il eu dans un kommando une évasion ou une simple tentative d’évasion ? La punition collective, dure, brutale, injuste vient frapper tous les camarades de kommando coupables d’avoir laissé échapper l’un des leurs. C’est le sort fréquent des kommandos de Russes ou de Polonais, plus rares celui des kommandos mixtes, où ils sont en minorité. Le Russe surtout a la hantise perpétuelle de l’évasion, rarement préparée, sans aucune précaution. S’il ne se fait pas de complicités extérieures, il vole des vêtements civils et, cédant à une impulsion, sans papiers, à la première occasion, il se lance dans l’aventure, dans l’inconnu. Les occasions sont minces, les fuites toujours osées et dangereuses, vouées à l’insuccès et, en treize mois de captivité, sur une vingtaine de milliers d’hommes qui, se renouvelant, auront
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