Le neuvième cercle
nombre de « politiques ». La composition de ce convoi avait été déterminée par l’organisation clandestine du camp central ;
— de ce fait, de nombreux Français purent accéder à « les postes dans l’administration du camp et dans les services généraux. C’est ainsi qu’André Ulmann, dit Antonin Pichon, fut « Lagerschreiber » pendant toute la durée du camp ; d’autres furent chefs de block, kapos. À l’infirmerie, aux cuisines, à la désinfection, dans les services d’entretien, les Français étaient nombreux.
— Cette situation était favorable pour tous ceux qui occupaient de tels postes, mais également pour l’ensemble des Français. Le rôle d’André Ulmann fut déterminant. Lui, et son adjoint André Fougerousse, ne reculèrent jamais devant leurs responsabilités pour sauver le maximum de déportés en général, mais surtout les Français, les Espagnols, les Belges, etc. Ils le firent avec intelligence, sans pour autant échapper aux coups des S.S., mais abréger un appel, empêcher des réveils pour « contrôle des poux », affecter à tel ou tel poste ou kommando moins dur, c’était sauver des camarades. Ils purent faire tout cela parce que le collectif français présentait certaines caractéristiques qui constituent un second facteur.
— b) Les Français, arrivés les premiers à Melk, n’étaient pas des isolés. En effet, parmi eux, on trouvait des résistants arrêtés depuis longtemps et ayant séjourné, ensemble, dans diverses prisons et camps de France occupée. C’était le cas d’environ soixante-quinze militants communistes passés par la « prison universelle » de Blois, avec parmi eux, Auguste Havez qui, en liaison avec André Ulmann, joua un rôle décisif dans la sauvegarde des vies françaises ; disposant d’une organisation clandestine efficace, les déportés communistes ne se bornèrent pas à organiser la solidarité entre eux, mais ils l’élargirent à tous les ressortissants français. Ils contribuèrent d’une façon décisive à créer un organisme clandestin à l’image du Front National en France.
— Cela fut rendu plus facile du fait qu’en dehors des communistes, d’autres groupes existaient ; certes, ils n’avaient pas l’organisation des premiers, mais formaient des ensembles homogènes. C’est ainsi qu’il y avait quelques dizaines de résistants catholiques rassemblés autour de l’abbé Jean Varnoux. On comptait également un groupe d’une dizaine d’officiers résistants et aussi un groupe de résistants de la région de Grenoble, Annecy, Lyon, passé par le Fort de Montluc, où il s’était soudé. Enfin, il faut ajouter que nous avions passé ensemble plusieurs semaines au camp de Compiègne, ce qui avait donné le temps de nous connaître.
— Les camarades « isolés » se trouvèrent pris en charge par l’un ou l’autre groupe, et personne ne se trouva abandonné. Ceux qui bénéficiaient d’avantages du fait de leur poste à l’intérieur du camp, aidaient les autres contraints d’aller travailler dans les kommandos. La solidarité prit très vite un caractère général sans se limiter aux groupes organisés. C’est ainsi que les communistes, contrairement à l’idée que certains ont tenté de répandre, n’aidèrent pas que les leurs, mais tous ceux qu’ils pouvaient. Il faut bien considérer que la solidarité à répartir était peu abondante.
— Pourtant, elle a permis de sauver des camarades. Le fait de recevoir une cuillerée de sucre en poudre, de confiture, 20 grammes de margarine ou deux pommes de terre, avait son importance, mais comptait peut-être moins dans la résistance de l’individu que l’idée de ne pas être abandonné, que la sensation de faire partie de la grande famille des résistants. Sur ce point, il est peut-être utile de citer deux exemples personnels.
— 1. J’ai été affecté à un kommando, à Amstetten, d’une quarantaine de déportés, tous Français, avec un kapo français, où nous bénéficiions d’avantages multiples : pas d’appels, voyage une heure matin et soir en wagons voyageurs assis, travail relativement peu pénible et une ration supplémentaire à midi donnée par l’entreprise, consistant, en général, en une dizaine de pommes de terre. Sur ma proposition, chacun prélevait deux ou trois pommes de terre qui étaient distribuées, le soir, à des Français séjournant à l’infirmerie. En soi cela peut paraître
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