Le neuvième cercle
Blois était devenu une école du Parti, en même temps qu’un centre de préparation au combat clandestin qui devait suivre l’évasion massive préparée avec une aide extérieure. Que les nazis aient eu vent de ce qui se tramait, ou tout simplement que notre tour fût venu d’aller combler les vides dans les grands camps du Reich, toutes les illusions s’écroulèrent quand, un petit matin de février, la prison de Blois fut entièrement vidée. Nous nous retrouvions à Compiègne, au milieu de centaines d’autres Français, mais notre potentiel subsistait, et ce n’était pas un mince sujet d’étonnement pour nos compatriotes, pour la quasi-totalité isolés ou attachés à de petits groupes fragmentés, de découvrir, à travers nous, un aspect ignoré de ce que c’était que les communistes, je veux dire « le Parti communiste ».
— Dans un milieu disparate où l’individualisme faisait les pires ravages, où beaucoup, arrêtés depuis peu, étaient incapables de s’adapter à leur nouvelle condition de captifs, les quatre cents de Blois, dont certains étaient emprisonnés depuis trois et quatre ans, arrivaient avec leur organisation en groupes, avec des responsables à tous les échelons, avec une solidarité matérielle efficace, et des activités inattendues : théâtre, cours de français ou de mathématiques, gymnastique, etc., sans parler des réunions de discussions politiques, lesquelles s’étendirent bien vite aux autres Français. Tout cela dans une semi-clandestinité très transparente, car Compiègne n’était qu’une petite antichambre des camps nazis.
Ce rappel était nécessaire pour expliquer comment put, très rapidement et très efficacement, s’organiser à Melk un « collectif français », qui rendit de grands services à la résistance intérieure du camp et joua un grand rôle pour empêcher l’extermination finale, tant à Melk qu’à Kbensee.
— Après la quarantaine à Mauthausen, après la dispersion entre les divers kommandos, il restait encore une bonne poignée de gens de Blois parmi ceux qui ouvrirent le camp de Melk. Et pour tous ceux-là, un homme représentait la direction du Parti : Auguste Havez. Il était à Blois dans la direction clandestine collective de l’organisation. Isolé des autres dirigeants, il restait celui à qui les membres du Parti faisaient confiance, dans la mesure où il allait continuer et maintenir l’action de solidarité, d’entente avec tous les Français, d’organisation de résistance clandestine avec tous les volontaires.
— À Melk, aux côtés des communistes, il y eut deux grands groupes qui se constituèrent aisément, quasi spontanément : les chrétiens, et plus spécifiquement les catholiques d’une part, et les militaires de l’autre. Des personnalités se joignirent aux uns ou aux autres : policiers, magistrats, professeurs. Presque tous gaullistes, c’est-à-dire ayant, de façon ou d’autre, répondu à l’appel de de Gaulle. Mais là encore – et tous les témoignages concordent – le rôle d’Havez fut déterminant. Encore qu’il apparût aux yeux de certains comme une éminence grise placée en retrait. Car l’homme qui agit le plus ouvertement pour l’union des Français, de par sa position dans le camp et de par son non-engagement politique apparent, ce fut André Ulmann.
— André Ulmann s’appelait au camp pour tout le monde, Augustin Pichon. Il était « Lagerschreiber » – secrétaire du camp. Sa connaissance parfaite de la langue allemande y avait contribué. Auguste et « Antonin » avaient de nombreux contacts directs ou non, et une complète identité de vues sur ce qu’il était possible et souhaitable de faire dans l’intérêt du collectif national français. Et au premier plan, l’organisation de la solidarité qui devait se manifester de bien des façons différentes. Et pour cela, il fallait avant tout placer des hommes sérieux et courageux aux postes-clés, dans toute la mesure du possible. C’est là un des points où le poste d’Ulmann servit beaucoup. On eut ainsi des amis sûrs aux cuisines, à l’infirmerie, dans certains services intérieurs du camp, et même des aides-kapos, comme à Amstetten. Dans ce sous-kommando, qui allait chaque jour en train travailler dans une scierie « Hofferwieser », à Amstetten, c’était Rosen, que personne ne connut jamais là-bas, qui, sous le nom de Blanchard, joua ce rôle ingrat sans jamais faillir
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