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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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normal, mais il faut réaliser ce que cela exigeait comme volonté. Sentir des pommes de terre dans sa poche quand la faim tiraille l’estomac ! Et pourtant, pendant des mois, quelques dizaines de camarades, communistes ou non, eurent cette volonté.
    — 2. Dans ce kommando, j’eus un accident de travail qui m’obligea à entrer à l’infirmerie, début août 1944, pour amputation d’un doigt – amputation réalisée à l’aide d’outils forgés dans le camp – qui n’entraîna aucune complication. Elle me donna l’occasion de voir comment les malades mouraient de dysenterie par dizaines, chaque semaine, vu qu’aucun médicament ne leur était donné. En recherchant avec les médecins français, que dirigeait Guy le Mordant, le moyen de les sauver, il se dégagea l’idée qu’une amélioration pouvait être obtenue, si au lieu de distribuer à chacun sa ration de pain, on faisait griller le pain. Après vingt-quatre heures de réflexion, je décidais de me transformer en « grilleur de pain ». En accord avec les camarades infirmiers et médecins, on ne distribua pas les rations du matin aux quelque cinquante dysentériques (ils furent jusqu’à cent cinquante, six mois plus tard) et je m’en allais, après avoir coupé les rations en tranches, griller ce pain aux cuisines du camp. Aussi étrange que cela puisse paraître, à partir de ce jour-là (vers le 15 août 1944), je vécus clandestinement, dans le camp, dans ce sens qu’avec la complicité des médecins, je ne figurais ni sur la liste des malades, ni sur celle du personnel de l’infirmerie et que je n’étais affecté à aucun kommando. Le S.S. de l’infirmerie ignorait et mon existence et la distribution des rations de pain grillé aux malades cx .
    — Le S.S. des cuisines ne me demanda jamais rien. Il trouva même que ce n’était pas bien de griller le pain sur la fonte des fourneaux et me fit faire une grille spéciale et m’attribua un fourneau.
    — La caisse servant à transporter le pain constituait un moyen idéal pour sortir clandestinement de la nourriture. Cette possibilité fut mise très vite à profit. Henry Macau, chef cuisinier, dérobait dans la réserve des S.S. à laquelle il avait accès, pratiquement chaque jour de 1 à 5 kilos de margarine que je sortais. Cette margarine (et certaines fois du sucre) était répartie en portions de 40 ou 50 grammes, aux malades, à ceux qui étaient affectés aux kommandos les plus durs, Michel Hacq, le colonel Ané, pour ne citer qu’eux, car ils se plaisent à le dire, peuvent en témoigner par là même que les communistes n’aident pas seulement les communistes, car personne ne supposera que l’ex-directeur de la P.J. et l’ex-administrateur de l’école polytechnique sont des communistes.
    — En huit mois, c’est sans doute près d’une tonne de margarine et de sucre qui fut soustraite aux S.S. et distribuée. Peu avant l’évacuation du camp, je me fis prendre. Après que le S.S. des cuisines m’eut promis de me faire pendre, la sanction fut ramenée à vingt-cinq coups de schlague qu’il m’appliqua lui-même. Il faut dire que devant mes arguments et mes dénégations, le S.S. qui se sentait vulnérable parce qu’il trafiquait, ne fit pas de rapport au chef de camp et préféra « régler » lui-même le problème. Dès le lendemain, je revenais griller le pain. Cette attitude dut convaincre le S.S. que j’ignorais vraiment la présence de margarine dans ma caisse. Il me fit, à dater de ce jour, attribuer quotidiennement une ration supplémentaire. Le soir même, je sortais à nouveau, et jusqu’au dernier jour, mon pain de margarine.
    — Cette solidarité matérielle (nourriture, emplois intérieurs, affectation aux kommandos les moins pénibles, entrée à l’infirmerie, etc.) joua un rôle indiscutable, surtout qu’elle s’étendit pratiquement à tous les Français qui arrivèrent au camp par la suite.
    — Mais il faut aussi considérer qu’elle eut une influence sur le moral des déportés. Le collectif français était uni, il avait confiance, il formait une véritable famille, à chacun l’adversité semblait moins dure à surmonter, surtout que, pour l’immense majorité, nous étions des résistants conscients. Le mineur du Nord, le prêtre, l’officier, le métallo, le professeur ou le commissaire de police discutaient ensemble, luttaient ensemble. Une véritable fraternité régnait. Elle a été maintenue au sein de

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