Le neuvième cercle
une fois à sa dignité d’honnête homme et de citoyen résistant français. Je retrouve avec quelque amusement, dans ma mémoire, la stupéfaction de quelques bons amis – antisémites conscients ou inconscients – quand ils apprirent, à la Libération, que Blanchard et Pichon étaient Rosen et Ulmann, et que c’était ces deux Israélites qui leur avaient si souvent rendu d’immenses services quand ils ne leur avaient pas tout simplement sauvé la vie.
— Auprès d’Havez, on trouvait Raymond Hallery qui travaillait à l’infirmerie. Je l’avais remplacé à Amstetten qui avait la réputation, justifiée, d’être un « bon kommando » (relativement, bien sûr).
— Dès mon arrivée, j’ai été surpris de la confiance que me témoignèrent les autres Français. Aux côtés d’Yves Heissler, et remplaçant Hallery, j’étais « le Parti » à leurs yeux et cela suffisait. On me demandait mon avis sur le sérieux de telle ou telle nouvelle. Et c’étaient seulement les informations que j’apportais, chaque jour, recueillies la veille au soir de mon responsable au camp, qui leur apparaissaient sérieuses et dignes de foi. J’avais ainsi les meilleures relations, d’entrée de jeu, avec des officiers comme Ané, Faure, Courriet, Bossan, des policiers comme Gille, le gendarme Baron, avec le pasteur Ségnier, avec de jeunes étudiants, catholiques, comme Kruzinski, ou non-croyants comme Jolivet, Bernard, des techniciens : Robert Renard, Barouin, sans parler de mes autres camarades communistes comme Garcin.
— Chaque soir j’allais – dans la mesure du possible, quand il n’y avait pas d’appel prolongé, ou de douches, ou de contrôle des poux, ou de désinfection, ou de corvée quelconque – au block 14. J’apercevais parfois Havez en conversation avec l’abbé Jean Varnoux, avec Fougerousse, ou Saint-Macary ou Michel Hacq. Moi j’avais affaire à Jacquin ou Hallery qui me transmettait à la fois ma part de solidarité – quand il y avait quelque chose à partager – et les nouvelles de tous ordres : internationales ou intérieures au camp, ou particulières à l’organisation clandestine.
— À certaine période, j’eus la responsabilité de trois groupes de trois camarades ; je connaissais les deux autres membres de mon propre groupe et les deux responsables des autres groupes. Dans les conditions de secret absolu qui devaient régner dans le camp, nous sommes parvenus, un jour, à faire une « revue générale » de nos forces, en allant nous promener sous les fenêtres du block 14.
— Selon Havez, cette revue avait montré que le Parti était capable, d’un jour sur l’autre, de mobiliser un effectif sérieux, en un point donné, à la même heure. Mais cette démonstration servit aussi à convaincre le collectif des officiers français du fait que, avec leur aide, l’ensemble des Français pouvait être à son tour mobilisé dans une action défensive, dans une période décisive qui approchait. Cette expérience fut renouvelée avec succès et très élargie à Ebensee.
— Ce serait manquer à toute objectivité que de ne pas mentionner à quel point tous les déportés, Français et autres nationalités, étaient suspendus aux nouvelles du front de l’Est comme de l’Ouest. Après l’euphorie créée par le débarquement, il y eut un affaissement du moral pendant la stagnation du front de Normandie, et alors personne ne discutait l’immensité des sacrifices et le magnifique courage des peuples soviétiques, sans lesquels aucun d’entre nous ne serait revenu vivant de Mauthausen. Il y a des réalités historiques qu’aucune vicissitude ultérieure et que le temps lui-même ne peuvent effacer. Havez et Ulmann sont aujourd’hui disparus, après des destins bien différents. Mais pour les anciens de Melk qui n’ont pas oublié, leurs noms ne peuvent se séparer et ils ont droit tous deux à notre respect.
— Une cxiii remarque préalable s’impose : la décision du Comité international d’action et de résistance, qui venait d’être créé à Mauthausen, avait été d’envoyer à Melk, nouveau kommando de travail du K.L. Mauthausen, des cadres qui auraient pour mission d’y appliquer, dans toute la mesure du possible, les directives sur lesquelles le Comité international de Mauthausen s’était mis d’accord. Ces directives avaient été adaptées à la situation locale d’après les principes établis en 1943, sur les
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