Le neuvième cercle
évacué sur Ebensee.
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— L’usine cxiv s’était développée à l’intérieur de la colline comme une toile d’araignée, et les machines ont été montées avec une rapidité qui nous a stupéfiés. Un seul incident de taille a été le grand incendie qui s’est déclaré au début de l’année 45. J’étais dans la mine quand une forte odeur de caoutchouc brûlé me fit précipiter sur les moteurs électriques qui entraînaient les tapis roulants dont je devais surveiller le fonctionnement. Ce n’était pas mes moteurs qui grillaient. Cela venait d’une galerie latérale ; avec l’odeur une fumée âcre avançait comme un rideau. Je ne me rends pas compte, sur le moment, mais prudemment, je me dirige vers la sortie. Je suis obligé de traverser un rideau assez épais, d’une vingtaine de mètres. Pendant ce trajet, je mets mon béret sur mon nez. L’alerte est donnée. Tous ceux qui sont au fond de la mine sont prisonniers et peu arrivent à ressortir. Il y a une soixantaine de camarades qui sont restés, dont une majorité de Grecs qui couchaient justement dans ma chambre (belle occasion pour le chef de block de faire un bénéfice intéressant de portions de pain, de rondelles de saucisson et de portions de margarine). Tous ces camarades ont été asphyxiés.
— L’Oberkapo tzigane qui nous gardait était un homme d’une trentaine d’années, aux traits réguliers et racés. Il n’aimait pas les Juifs et il lui arrivait fréquemment d’en assommer un ou deux au cours du travail. Il était toujours accompagné d’un ami russe, polonais ou français, au physique agréable. Il jouissait presque physiquement quand il frappait. Une de ses passions consistait, alors qu’il y avait beaucoup de monde dans les cabinets construits en dehors de la mine à prendre un de ceux qui étaient assis sur la barre et à le renverser dans la merde. Le pauvre type avait du mal à s’en sortir après avoir pas mal pataugé. Comme il était déjà dysentérique, pour se laver il prenait froid et il était rare qu’il survive. À côté de cela, ce même Oberkapo, le jour de l’incendie de la mine, est rentré dans la mine enfumée et a sauvé un de nos camarades français kapo, qui fut toujours un bon kapo. Il le traîna alors qu’il était évanoui, au risque d’y rester lui-même. À moi, personnellement, un jour où nous prenions le train, en montant, je me bute et mes lunettes tombent, je crois entre le quai et le wagon. L’Oberkapo étant le seul à avoir le droit de descendre sur la voie, il en profita et chercha mes lunettes pendant une minute. Il ne les trouva pas. En effet, je m’aperçus qu’elles étaient tombées dans le wagon et étaient piétinées et inutilisables.
— Donc cxv , après la dissolution du Lagerkommando, nous voilà, Quentin et moi, affectés aux cuisines où l’aménagement se poursuivait avec un effectif réduit. Le gros collecteur d’égout qui traversait, dans toute sa longueur, le local, était constitué d’un tuyau en ciment d’un mètre de diamètre, qui recevait les eaux des immenses bacs servant au lavage des pommes de terre épluchées, puis, qui était raccordé à des canalisations plus petites desservant toute la surface des cuisines et destinées à l’évacuation de l’eau des autoclaves et des eaux de lavage du sol qui s’effectuait à la lance d’incendie. Ce collecteur avait une forte pente et l’énorme quantité d’eau qu’il recevait, plusieurs fois par jour, le dévalait en trombe. Une fois cet égout construit, il fut décidé, pour éviter au personnel travaillant dans les cuisines d’avoir un prétexte d’en sortir, de construire des w.-c. dans les cuisines mêmes.
— Les travaux, dans ce but, s’exécutent le jour de l'« inauguration » : catastrophe ! Ces cabinets étaient reliés au grand collecteur par des buses en ciment qui avaient été installées en sens contraire de ce qu’elles auraient dû être, c’est-à-dire leur orifice inférieur débouchant dans l’égout, face à l’arrivée en trombe des masses d’eau. Dès que les « pluches » eurent lâché leurs vannes, l’eau arrivant à la hauteur des tuyauteries des cuvettes des w.-c. s’engouffre dedans et rejaillit en geysers par les cuvettes. En un clin d’œil, il y a 25 centimètres d’eau dans les cuisines, avec ce que vous pensez, flottant à la surface.
— Le commandant du camp rapplique en hurlant au sabotage, et nous en rendant
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