Le neuvième cercle
employés aux cuisines depuis le début et qui étaient parfaitement organisés. Les communistes français avaient aussi une chaîne de solidarité qui fonctionnait, efficace et fort bien organisée, sous la haute autorité d’Auguste Havez. Mais il y avait également les kapos allemands et quelques individus cherchant à voler n’importe quoi pour leur bénéfice personnel et pour leurs multiples trafics. Les S.S. eux-mêmes et les soldats allemands ne manquaient pas d’en faire autant, à l’occasion. Aussi la surveillance aux cuisines était active (Willy était là pour cela), et elle ne cessa de se renforcer ; Striekel y ajoutant même un spécialiste S.S. avec deux féroces chiens spécialement dressés.
— Employé dans les cuisines, il y avait, soit simultanément, soit alternativement, trois cuisiniers de profession, français : Combanaire, Henri Macau, Georges. Quand on parle de cuisine, il faut distinguer les cuisines des S.S. et de la troupe allemande employés au service de garde et d’accompagnement des kommandos à l’extérieur et les cuisines du camp, réservées aux détenus. Ce sont de ces dernières dont je parle toujours, car nous n’avions pas accès aux autres, situées à l’extérieur de l’enceinte, sauf parfois Combanaire, dont la réputation de chef était connue et qui était désigné pour aller préparer quelques gueuletons à l’usage de ces messieurs. Chaque fois qu’il allait là-bas, c’était avec appréhension, car il était épié sans cesse, toujours insulté et menacé, souvent frappé, et sa vie y était en réel danger. Un jour, il fut roué de coups parce que, sur un légume servi à table, un S.S. trouva un point noir. La vie d’un déporté tenait à cela !
— L’autre cuisine, celle du camp, était immense. Elle comprenait trente-deux autoclaves, de 300 litres, installés par batteries de huit, et une gigantesque cuisinière à charbon avec trois fours. Cette cuisinière et les deux autoclaves les plus proches étaient utilisés en permanence, mais clandestinement, pour la préparation des mets les plus divers, commandés par les Unteroffiziers et les Gefreite (sous-officiers et caporaux) qui avaient seulement droit à la cantine de la troupe. C’étaient nos cuisiniers français qui avaient la charge de confectionner ces « extra », avec consigne formelle de s’arranger pour tout camoufler au cas d’une inspection intempestive. Ils savaient, d’ailleurs, que s’ils étaient surpris, ils auraient été accusés par ceux-là mêmes qui leur avaient commandé le travail, d’agir pour leur propre compte, et c’était certainement la potence qui les attendait. Cette cuisine clandestine donna, chaque fois que cela fut possible, lieu à des entourloupettes qui profitèrent aux camarades : les Allemands ne mangeant pas toujours ce qu’ils avaient prévu.
— Pour la cuisine des déportés, rien de plus simple : on remplissait les autoclaves d’eau, avec les épluchures des pommes de terre provenant des « pluches » (les pommes de terre épluchées allant aux cuisines allemandes). Quelquefois, les épluchures étaient remplacées par des légumes déshydratés de très mauvaise qualité et de goût, de carottes ou de feuilles de betteraves, même de simples betteraves, ce qui donnait quelque chose d’ignoble. Une fois, l’on vit arriver des tonneaux contenant de la saumure et du vinaigre, des feuilles d’orties que pas un homme, même le plus affamé, ne put manger. Dans les marmites, en principe, un ou deux cubes de margarine synthétique (pour 300 litres d’eau), lorsqu’ils arrivaient jusqu’aux cuisines, car la plupart du temps ils disparaissaient entre le magasin et les marmites, volés par les kapos qui s’en servaient comme monnaie d’échange dans des trafics de toutes sortes. Le café du matin était constitué d’une poudre de glands et d’eau. Jamais de sucre.
— Le personnel : nettoyage des autoclaves et des locaux ; remplissage des « kessel » (marmites), devant porter la soupe aux blocks ; lavage et stockage de celles-ci au retour : une trentaine de Russes et Polonais se bagarrant souvent entre eux. Composition et préparation des soupes : quelques Espagnols. Tous, sous la coupe d’un Espagnol : Lopez, brave type mais attentif à la qualité du travail. Plus cinq « Haizers » (chauffeurs) chargés de mettre en route les autoclaves, de cuire, à l’heure, soupe et café. Le travail était pénible
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