Le neuvième cercle
et, pour cela, celui-ci mis à quai, nous devions attraper par un bras ou par une jambe chacun des cadavres que l’on traînait jusqu’à la réserve où nous les entassions comme des fagots. Le ramassage terminé, il nous restait à charger les cendres que nous emmenions dans un terrain hors de l’enceinte du camp électrifiée. Je restais seulement quelques jours à ce kommando qui était, de par sa nature, un des moins bons du Lagerkommando. Et de plus, le kapo qui le commandait, Felipe, était plus particulièrement excité et nous tapait sans arrêt pour nous faire aller plus vite. Ses coups redoublaient quand nous franchissions le portail où était la garde S.S.
— Avec mon camarade René Bondon, nous réussissions, un matin, à nous faire embaucher par le kapo des « barbelés ». Nous devions arracher les mauvaises herbes qui poussaient entre et sous les barbelés. Nous étions munis d’un manche en bois, avec un bout de ferraille au bout. Un des avantages et pas des moindres, c’était que nous pouvions récupérer les pissenlits que nous mangions. C’étaient les seules vitamines et crudités à notre disposition. Nous en rapportions pour nos camarades au camp.
— Alors que l’on travaillait à proximité du block des convalescents, le block 32, des camarades français, nous apercevant par la fenêtre, nous demandèrent de leur apporter des pissenlits. Notre camarade Bondon me dit : « J’y vais, regarde si personne ne vient. » Notre kapo, lui, sommeillait car il faisait très chaud. René se précipita. Mais nous n’avions pas pensé au kapo du block 32 qui, sautant par la fenêtre, se mit à taper sur René, le traitant de cochon de Français, l’accusant de vouloir empoisonner ses camarades. Heureusement, c’était l’heure de la visite du médecin S.S. qui demanda des explications au kapo. Celui-ci lui dit que ce Français voulait faire manger à ses camarades cette cochonnerie et il lui montra les pissenlits. À son grand étonnement, alors qu’il pensait recevoir les félicitations du médecin S.S., celui-ci lui dit que le Français avait raison, que cette saloperie était remplie de vitamines, donc très bonne pour la santé. J’étais dans ce kommando depuis une vingtaine de jours. Un après-midi où il faisait très chaud, notre kapo – comme cela lui arrivait quelquefois – s’était assoupi. Les autres fois nous arrêtions de travailler, tout en restant aux aguets. Cette fois-là, comme nous étions dans un coin du camp assez retiré, pas trop à la vue, nous décidâmes de nous asseoir et, ma foi, nous aussi nous nous endormîmes. Un S.S. et deux kapos nous tombèrent dessus, à bras raccourcis. Mais c’est sur notre kapo qu’ils s’acharnèrent, le massacrant littéralement. Le lendemain, à l’embauche, il n’était pas question de se présenter à ce kommando. Je décidais de tenter quelque chose. Ayant remarqué que, dans la journée, des détenus circulaient dans le camp munis d’un récipient et d’un balai, je me procurai ceux-ci et je pus, de cette façon, gagner encore une quinzaine de jours, car mon travail consistait surtout à ouvrir l’œil. Je me baladais donc, ayant l’air toujours très affairé, mais marcher toute la journée, cela aurait été assez fatigant et, pour me reposer, je trouvai une autre combine. Les w.-c. au camp étaient très confortables, contrairement à ceux qui existaient sur les lieux de travail où l’on devait s’asseoir sur une barre de bois triangulaire qui vous coupait les fesses. Je décidais donc de faire de très larges pauses dans les w.-c. Mais il fallait là aussi être vigilant car, de temps à autre, des kapos faisaient irruption avec la trique à la main et vidaient tout le monde, y compris ceux qui venaient d’arriver. L’astuce consistait à repérer le passage du kapo et l’on pouvait après cela s’installer pour un bon moment.
— Alors que je pensais avoir trouvé, comme on dit « une bonne planque », je ne devais pas tarder à déchanter. Eh ! oui, il y avait souvent des retournements qui, s’ils surprenaient les novices que nous étions, n’en faisaient pas moins partie du système et tout cela était savamment orchestré.
— Un matin, dans le camp, à peine les kommandos partis au travail, grand branlebas. Les S.S., en nombre important, accompagnés de kapos, effectuaient une rafle. Les haut-parleurs interdisaient toute circulation : chacun devait rester à la place où il
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