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Le neuvième cercle

Le neuvième cercle

Titel: Le neuvième cercle Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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quelques questions, lui disant : « Tu es trop jeune pour être marié, mais tu as bien un papa, une maman, peut-être des frères, des sœurs. Est-ce que tu ne voudrais pas les revoir ? » Et c’est à ce moment-là qu’il me raconta sa triste histoire, disant : « Tu vois, cela n’est pas possible. Tu me l’as dit toi-même, je suis un salaud, un tueur. » Je continuai avec lui la discussion. Je lui dis que moi j’étais marié, j’avais un fils et une maman, des frères, des sœurs, mon père ayant été tué à la guerre de 1914. Je lui expliquai que l’épithète dont il m’avait gratifié à l’arrivée, m’accusant d’être un « gendarme à Daladier », était, pour ma part, injustifié, car j’avais soutenu, en son temps, la lutte de la république espagnole. J’ajoutai qu’il en était ainsi pour beaucoup de mes camarades français présents dans ce camp.
    — Je lui demandai également comment étaient constitués les tribunaux en Espagne. Il me répondit : « Pour l’essentiel, comme en France : des juges, un procureur et naturellement des avocats. » Je lui dis : « Francisco, si j’avais à te juger, je serais très dur avec toi. Je demanderais la peine de mort. Mais si j’étais ton avocat, je plaiderais les circonstances atténuantes car, en fait, les vrais coupables ce sont les nazis qui ont créé ces camps de la mort et qui ont permis à tous les bandits, les criminels d’assouvir leurs bas instincts et de corrompre des gars comme toi. » Et j’ajoutai : « Si tu veux qu’à la fin de la guerre on ait pour toi quelque indulgence, il faut renverser la vapeur, être plus humain et, dans la mesure du possible, aider les camarades et en sauver le plus grand nombre. » C’est ce qu’il fit car des camarades français, entre autres René Bondon, Claude Tefel qui arrivèrent après moi au block 29 n’eurent qu’à se louer du comportement de Francisco. En particulier Claude Tefel qui resta plusieurs jours dans le coma, ce qui lui aurait valu, normalement, d’être éliminé. Au contraire, il fut soigné et il est bien vivant aujourd’hui.
    — Dans son zèle, Francisco qui n’était pas devenu subitement un être normal, voulant trop bien faire, exagérait quelquefois. Ayant mal à la gorge, il me soigna de telle façon – en mettant plus de produit qu’il ne l’aurait fallu – qu’il me brûla. Mais à quelque chose malheur est bon. Cela me valut de rester un peu plus longtemps au block 29.
    — Donc, me voilà sortant du Revier, retapé mais pas apte à retourner à la carrière. Heureusement, déclarés « sortants » de ce block, nous avions la possibilité de travailler au Lagerkommando, le kommando du camp. Ce travail était beaucoup moins pénible. Il consistait à tenir le camp propre, ce qui n’était pas difficile car aucun déchet, fût-ce un simple mégot, ne traînait dans les rues. Une autre activité consistait à ramasser les cadavres dans les différents blocks, et pour ce faire nous étions une dizaine de détenus attelés à un chariot à quatre roues. Nous passions, après l’appel du matin, dans les différents blocks du camp et du Revier où l’on chargeait, sur notre chariot, les camarades morts au travail ou dans la nuit au block.
    — Au début, cela était assez impressionnant. Nous prenions les cadavres, à deux, par les jambes et par les bras, et les lancions dans le chariot comme de simples paquets. Parfois, parmi les cadavres, il y avait des moribonds. Je me rappelle, entre autres, que dans un chariot plein de cadavres que nous emmenions au crématoire, il y avait un de ces moribonds qui avait sur sa figure le pied d’un mort et qui essayait, avec sa main, d’écarter ce pied, et celui-ci revenait sans cesse. Lorsque je raconte cette scène, comme d’ailleurs toutes les autres, je la revis intensément. Malgré notre déchéance qui n’était pas encore arrivée à son maximum, ces scènes – après à peine trois mois de camp – avaient en nous une résonance qui devait, il faut le dire, beaucoup s’atténuer par la suite.
    — Nous arrivions avec notre chargement au crématoire. Ce crématoire était, de tous les blocks du camp, le plus coquet : des fleurs tout le tour, des rideaux violets aux fenêtres, en un mot un aspect pas du tout sinistre. Mais lorsqu’on pénétrait à l’intérieur, l’impression était de beaucoup différente. En ce qui nous concerne, nous devions décharger notre chariot

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