Le neuvième cercle
première évasion. Bien sûr, je parlais, avec beaucoup de camarades, de cette possibilité de rejoindre les partisans. Mais je fis en secret, lentement, les préparatifs réels. Je volai progressivement, sur le chantier, trois jeux de vêtements civils que je camouflai entre les doubles parois pleines de sciure du bâtiment des compresseurs d’air (je travaillais sur le chantier comme électricien et l’atelier électrique se trouvait dans ce bâtiment).
— Pourquoi trois jeux de vêtements ? C’est le hasard qui me permit d’en prendre trois. Cela aurait pu être quatre ou deux ; un seul, non. Ensuite, je réussis à dérober des papiers d’identité, toujours à des travailleurs civils. Il me resta alors à choisir des partenaires.
— Les conversations avec mes meilleurs camarades ne m’avaient pas convaincu que leurs désirs d’évasion allaient au-delà du simple rêve ou de la velléité.
— Je portai mon choix :
— 1. sur D…, un garçon de trente à quarante ans, du « milieu » ou qui, du moins, passait pour tel et que j’avais rencontré, dès les premiers jours de mon arrestation, à la prison de Nancy. J’avais constaté que les gens du milieu, et il y en avait un certain nombre, s’ils ne respectaient pas les lois, étaient cependant réguliers.
— 2. un jeune garçon, E…, de dix-huit ou vingt ans, qui parlait parfaitement l’allemand et était, à ce titre, utilisé les samedis et dimanches comme homme à tout faire du commandant du camp.
— Je leur fis part de mon projet, de mes préparatifs, et de mon plan : ne pas s’habiller dans le bâtiment des compresseurs car les allées et venues y étaient rares et toute autre personne que les habitués risquait de s’y faire remarquer en sortant. Je leur dis que je me chargeais de transporter, la veille de l’évasion, les vêtements dans le magasin à ciment. Cachés derrière les sacs de ciment, nous pourrions donc changer de vêtement, sortir en civil, et traverser délibérément un poste de garde.
— Je transportai donc les habits et les cachai sous les sacs de ciment, comme prévu, la veille du jour fixé (novembre 1943, je ne saurais préciser le jour).
— Durant la nuit, il y eut malheureusement une abondante chute de neige, une couche de 50 à 100 centimètres, qui changea ma décision.
— Je fis part, à mes camarades, de ma position : s’évader dans de telles conditions serait de la folie. Il fallait repousser le départ.
— Mes camarades ne furent pas d’accord, faisant valoir que la neige allait durer tout l’hiver, que ma position n’était donc pas de reculer la date de l’évasion, mais, plutôt, d’y renoncer.
— Fut-ce pressentiment ou peur ? ou lucidité ? Je maintins ma décision, précisant que je les laissais libres d’utiliser les vêtements et tout ce que j’avais préparé, s’ils voulaient partir sans moi.
— Ce qu’ils firent. Malheureusement.
— Ils s’introduisirent dans le magasin à ciment. J’attendis de les voir ressortir habillés. J’étais en proie à de terribles contradictions. Étais-je lâche ? Avais-je eu raison de ne pas m’opposer, coûte que coûte, à leur décision ? Ou alors, n’étais-je pas en train de manquer une unique chance d’évasion ? Incapable de répondre, je m’enfuis vers l’atelier électrique et essayai de retrouver le calme tout en faisant des vœux pour leur réussite.
— Aux événements qui ont suivi, je n’ai pas assisté, je ne puis que rapporter ce qui s’est dit. D… est passé le premier devant la sentinelle qui se trouvait derrière le concasseur. Sans encombre. E… le suivait. Lorsqu’il dut passer à son tour devant la sentinelle, celle-ci aurait cru le reconnaître et l’aurait interpellé en allemand. Rappelons que E… travaillait toutes les fins de semaine dans le camp S. S., il était donc connu d’eux, et comprenait parfaitement l’allemand. D’autre part, lorsqu’un « häftling » était interpellé par un S.S., il devait obligatoirement se découvrir, enlever sa « mützen ». Ce qu’il fit ! Instinctivement, E… interpellé, enleva sa coiffure, découvrant ainsi l’indélébile raie au milieu de son crâne. Réalisant son erreur monumentale, il se mit à courir. À ma connaissance, la sentinelle ne tira pas, hésitant peut-être à cause des vêtements civils. Elle alerta un « homme à chien » (hunderführer) qui se trouvait à proximité. Celui-ci lâcha le chien
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