Le neuvième cercle
nombre de lettres ordinaires ont été envoyées de la poste de Trzic entre le 17 octobre 1943 et le 5 juillet 1944. En un jour seulement – par exemple le 31 mars 1944 – douze lettres recommandées ont été expédiées. La plupart des réponses ou des colis arrivaient à mon nom. Je devais m’arranger pour les remettre en cachette aux destinataires dans la partie sud du tunnel, ou dans le grand dépôt. Cette « organisation » n’aurait jamais pu fonctionner sans l’aide de plusieurs postiers, Danica Stefen, Kromarjev, Janez, Perek, car il faut dire que nous, les Slovènes, n’avions le droit d’envoyer qu’une lettre recommandée par mois.
— Nous xxx avons naturellement parlé très vite d’évasion. Je passe sur toutes les discussions que nous avons eues. Mon ami Granger était partisan de l’évasion collective des mineurs, de nuit. À peu près cent vingt hommes. Je décidais de ménager un rendez-vous entre Granger et Janko. Un beau soir, vers 23 heures, je les enfermais tous deux dans une trappe vide et les y laissais converser une demi-heure. Janko pouvait nous fournir des armes. En compagnie de Granger nous élaborions un tas de stratégies pour n’en retenir qu’une. À la pause casse-croûte, à minuit, nous devions mettre à mal nos gardiens S.S., prendre leurs armes et partir très vite dans la montagne. C’était, à coup sûr, de cet endroit et à cette heure-là, à cause d’un tas de contingences, position de nos gardiens – ceux des camps endormis – que nous avions plus de chances de succès. Mais il y avait un obstacle insurmontable : cette tentative se passerait comme une véritable attaque de commando. La plupart des S.S. y auraient laissé leur peau, d’où terribles représailles sur les autres détenus…
— …Rejoindre xxxi tous les partisans de Tito ! Janko me répondit qu’il devait en référer à l’état-major. La réponse vint en novembre (il y avait 2 mètres de neige) : « Pas de possibilités de recevoir, de nourrir et d’armer tous les détenus ; de plus, trop étaient inaptes au combat… et il y avait des droit commun. » Les partisans ne voulaient pas prendre la responsabilité de la mort certaine ou de la capture d’un grand nombre. Ils nous donnaient l’ordre de faire évader ceux qui étaient capables de participer aux combats, à commencer par les officiers soviétiques.
— En xxxii application de ces directives et selon les plans ourdis dans le plus grand secret, une première tentative xxxiii eut lieu au printemps de 1944. Elle fut menée à bien par trois officiers russes qui se trouvaient anonymement mêlés à un envoi de main-d’œuvre récemment fait au camp nord, c’est-à-dire du côté autrichien du tunnel. L’opération se déroula durant une nuit du samedi au dimanche.
— Le camp sud, pour une raison inconnue de nous, n’avait pas envoyé d’équipe travailler au tunnel. Seule, l’équipe de nuit du camp nord avait commencé son labeur à 18 heures pour ne l’interrompre que le lendemain matin à 6 heures.
— À la lueur des lampes à acétylène, dans la poussière des éboulis manipulés, des silhouettes allaient et venaient, piochaient, pelletaient, remplissaient et poussaient des wagonnets. Vers 3 heures du matin, les trois Russes qui s’étaient assurés de la complicité d’un certain nombre de compagnons de travail, réussirent à attirer successivement trois des S.S. de l’escorte dans des souterrains secondaires, les assommèrent, puis les ligotèrent solidement après les avoir dépouillés de leur uniforme et de leurs armes.
— Tout cela fut fait en un temps record, cependant que le bruit des marteaux piqueurs maniés sans arrêt par les complices de cette extraordinaire aventure, en accompagnait les péripéties préparatoires. Ainsi transformés par les tenues militaires, les audacieux officiers n’eurent pas de peine à s’assurer le concours, à la fois involontaire et terrifié, du requis italien qui conduisait le tracteur diesel destiné à tirer les wagons de déblais vers la décharge du camp sud.
— À quatre sur la petite plate-forme, l’Italien gardé à vue par les trois évadés qui l’obligeaient, sous la menace à accélérer la vitesse de l’engin, ils arrivèrent à la sortie yougoslave du tunnel, et les sentinelles de garde laissèrent passer la machine et son équipage, sans soupçonner la tragi-comédie qui se déroulait sous leurs yeux. Le diesel
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