Le neuvième cercle
de dormir, ni d’assassiner. Ne lui vint-il pas à l’idée, certain jour, où le corps pantelant d’une de ses victimes reposait encore sur la table d’extermination, de commander à Roland de dépecer le cadavre afin de prélever le bassin qu’il voulait garder comme pièce anatomique ?
— Et Roland, livide, dut s’exécuter, sous le contrôle du médecin nazi. Le reste du corps, lui, trouva la paix dans l’incinération. Le supplicié s’appelait Férenzi : c’était un paysan italien ; il avait une femme et quatre enfants auxquels quelques mois plus tôt, la Gestapo l’avait arraché.
— Le découpage eut lieu le 4 août 1944 à 16 heures…
*
* *
— J’ai xxiv eu beaucoup de difficultés au départ. L’effet du grand air devait avoir une action sur le ver solitaire qui partageait ma gamelle et qui, très souvent, me donnait l’impression de m’étouffer. Je pouvais à peine soulever mes galoches. Je réussis heureusement à avoir de l’ail par un camarade travaillant aux cuisines, ce qui eut pour effet d’endormir cette bestiole pendant un certain temps. Je m’étais ménagé, pendant le trajet, la sympathie d’un détenu, Grégorieff ; il m’avait dit :
« — Je parle le serbe. »
— Je le harcelais sans arrêt pour qu’il parle à un ouvrier civil Slovène qui portait le numéro 15 et qui me paraissait s’apitoyer sur notre sort. Grégorieff réussit à lui parler un jour. Le numéro 15 lui indiqua la route à prendre pour rejoindre les partisans. Je commençais sérieusement à tirer des plans pour m’échapper, quand, le 14 juillet 1943, date mémorable, une bande de fous déchaînés – S.S. accompagnés de kapos – nous ont littéralement massacrés, roués de coups. Une corrida qui dura plusieurs heures… J’en passe les détails horribles pour ne me rappeler que ce qui me mit littéralement K.O. : le speech du commandant, les yeux hors de la tête, écumant de rage, hurlant :
— « Pas un ne s’évadera d’ici. Vous crèverez tous là », et nous montrant la ligne des crêtes : « Il y a une division S.S. là-haut ! »
— Je me remémore l’entretien que j’ai eu avec mon camarade Fred Lecuroy, un gars au moral d’acier qui réussit à s’évader lui aussi du tunnel nord. Nous avions projeté de partir ensemble dans la direction que nous avait indiquée le « n° 15 », il restait de petits détails à régler. Le sacré menteur de commandant avec sa division S.S. sur les crêtes nous avait terriblement impressionnés.
— Quelques jours après, un deuxième convoi arrivait de Mauthausen. Tous étaient de notre groupe de Compiègne et du train du 16 avril 1943. Nous les connaissions donc. Le lendemain, une trentaine de ces détenus, derniers arrivés, fut mise à part. Un kapo m’appela et me dit :
— « Tu es responsable de ces gens…»
— Il s’agissait, pour eux, de couper des arbres, de les transporter afin d’en faire des poteaux électriques ou téléphoniques. Les pauvres étaient dans un état de maigreur effarant. Ils tenaient à peine debout et, pour corser la chose, nous étions gardés directement par le « médaillé », S.S., fou, hystérique, surnommé ainsi à cause de la batterie de décorations qu’il arborait.
— Les premiers jours furent très durs avec cet énergumène. Surtout qu’il fallait transporter également des sacs de ciment. Par la suite, ses crises étant un peu dissipées pour un temps, il nous laissa à peu près tranquilles. Un beau jour, mon kommando avait terminé son travail. Nous nous trouvions sans occupation. Je pris sous mon bonnet de les garder avec moi, sans ordre de quiconque.
— « Suivez-moi ! »
— Je leur montrai un énorme tas de planches :
— « Vous allez faire un tas bien propre à l’autre bout, à une trentaine de mètres. »
— C’était bon. Des petites planches légères. Sans trop se presser. Chaque jour davantage, nos lascars se redressaient, reprenaient un peu forme humaine. Après qu’ils eurent, au bout de quelques jours, reformé exactement le même tas de planches, 30 mètres plus loin :
— « Que va-t-on faire ? » me dirent-ils.
— « Vous allez rapporter les planches à l’emplacement où elles étaient au départ. »
— Et c’est reparti pour un tour. Travail léger. Sans aucune intervention extérieure. La plupart, ayant repris des forces et craignant chaque jour davantage que le subterfuge ne fût
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