Le Pacte des assassins
près
de lui, Jacques Miot dont Willy Munzer prétend qu’il peut avoir un grand destin
politique.
Le visage de B. S. exprime l’intelligence
et la finesse ; celui de Miot, la brutalité et la bêtise : il a la
vulgarité d’un débardeur, il ne parle pas, il vocifère. Mais Munzer me dit qu’il
est courageux. Il a affronté à plusieurs reprises la police et a été emprisonné
pour avoir blessé gravement au bas-ventre un policier au cours d’une
manifestation.
Mais quel peut être le sens d’une révolution
quand elle est conduite par des hommes tels que Miot ? Je me rassure en
écoutant Heinz et en regardant B. S. »
Elle est partie pour
Rome avec Boris Serguine au mois de mai 1925 :
« Train bleu. Parodie de voyage de noces.
Nous avons les gestes d’un couple de jeunes mariés. Le personnel des
wagons-lits a pour nous des prévenances attendries. Mais notre âme est glacée.
Je dois rencontrer Paolo Monelli. Souvenirs de
l’hôtel Lux : sa tête d’or, sa séduction d’Apollon du bolchevisme, comme
je l’avais un jour appelé. Et il avait ronronné.
On assure qu’il est devenu l’idéologue du
fascisme. Il a écrit le discours de Mussolini du mois de janvier dans lequel le
Duce a parlé “les couilles sur la table”. Monelli serait l’inventeur de l’expression État totalitaire qui définit le système fasciste italien.
J’ai d’abord refusé cette mission, puis cédé à
la tentation de retrouver l’Italie, de pouvoir peut-être me rendre à Venise, et
aussi de partir en compagnie de B. S.
J’ai osé exiger que B. S. soit du voyage.
Thaddeus Rosenwald et Willy Munzer se sont contentés d’un sourire ironique ;
Heinz a baissé la tête et n’a plus desserré les lèvres.
Ma mission est simple : je dois sonder
Monelli, tenter de comprendre ce qui l’anime, si on peut l’utiliser, faire de
lui un informateur au cœur du pouvoir fasciste, ou le charger de transmettre
directement à Mussolini des propositions de l’État soviétique sans risquer de
les voir déformées, ralenties, arrêtées par des intermédiaires diplomatiques
italiens conservateurs et monarchistes. »
Julia avait
rencontré Paolo Monelli dans le Forum romain, devant les thermes de Caracalla, et
avait été à nouveau éblouie par sa beauté, son élégance plus maniérée pourtant.
Au lieu d’aborder d’emblée les raisons de leur rencontre, Paolo l’avait enlacée
et elle s’était laissée entraîner jusqu’à son appartement de la piazza di
Spagna.
Après quoi ils s’étaient installés à la
terrasse d’un des cafés de la piazza Navona et Paolo Monelli, d’une voix
enjouée, avait expliqué qu’au vrai, il n’avait pas changé de camp, comme on l’en
accusait.
En fait, continua-t-il, il y avait une grande
parenté entre le communisme et le fascisme. Il s’agissait dans les deux cas d’imposer
un ordre, une hiérarchie, de construire un État fort agissant non sous la
pression des intérêts capitalistes, mais de l’intérêt national, avec un chef
indiscuté, qu’il se nomme Duce ou Secrétaire général du Parti. Il n’existait
que deux formes d’organisation sociale : la démocratie bourgeoise, qui
était le règne de l’argent, et l’État totalitaire, qui exprimait l’intérêt
collectif.
En Russie, l’État totalitaire était rouge. En
Italie, Paolo Monelli, après avoir analysé les forces en présence, avait
compris que l’État totalitaire ne pouvait être que noir. D’ailleurs Mussolini
avait été un révolutionnaire, exilé comme Lénine en Suisse. Mais il avait saisi
plus vite que Lénine que la guerre était l’acte fondateur de la révolution.
Qu’attendait donc Julia, elle qui était
italienne, pour retrouver sa patrie au lieu de perdre sa vie dans un pays de
moujiks, ou bien dans la poursuite d’une révolution mondiale qui n’était qu’un
mirage propagé et entretenu par des Juifs allemands ou apatrides ?
Elle le savait – il lui avait caressé la
cuisse – et son corps n’avait-il pas déjà choisi ?
Elle s’était levée et l’avait giflé, puis elle
avait regagné Paris sans même avertir Boris Serguine.
Elle ne l’avait plus
revu, évitant de se rendre dans les réunions auxquelles il participait, et
lorsque son nom était prononcé par Thaddeus Rosenwald, Willy Munzer ou Heinz
Knepper, elle se réfugiait dans sa chambre, laissant les trois hommes au salon
continuer d’évaluer les qualités de tel ou tel camarade français
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