Le Pacte des assassins
puisqu’il n’avait jamais manifesté la
moindre curiosité à mon égard.
Mais Julia Garelli-Knepper avait agi
méthodiquement dans l’intention de se servir de moi contre le souvenir d’Alfred
Berger.
J’ai retrouvé entre les pages de son dernier
carnet qui contient son journal – ses notes, plutôt – des années 1989-1990, la
notice nécrologique de mon grand-père publiée par Le Monde. Elle l’a
donc découpée après l’avoir lue, glissée entre ses pages où son écriture
morcelée, à peine lisible, difficile à déchiffrer, témoigne de sa volonté de
rester lucide jusqu’au bout.
Or, dans cette note, il est écrit :
« L’écrivain et cinéaste David Berger est le petit-fils d’Alfred Berger. »
Julia Garelli-Knepper savait donc que j’étais
uni à Alfred Berger par le lien d’une filiation directe, et non par une banale
homonymie.
Or elle ne m’avait posé aucune question, m’empêchant
même d’évoquer la personnalité de mon père comme si elle avait craint qu’à
dérouler le fil de mon ascendance on n’atteignît cet Alfred Berger qui était à
l’origine de l’intérêt qu’elle me manifestait.
Car – j’en avais été blessé – elle avait à
peine feuilleté mes Prêtres de Moloch et j’avais été étonné qu’après
avoir ainsi écarté avec mépris ce livre que je voulais lui dédier et qui lui
aurait permis de me connaître, elle me confiât sa Fondation, ses archives, la
mission de recomposer sa vie.
Elle comptait sur le choc, l’émotion que je
ressentirais lorsque je serais confronté au nom d’Alfred Berger.
Je serais alors lié charnellement à elle, je
partagerais la souffrance de tous ceux qui avaient été victimes du fanatisme de
ces dizaines de milliers d’Alfred Berger, qui avaient proclamé et sans doute
cru qu’ils guidaient l’humanité vers des « lendemains qui chantent ».
Or ils avaient été des assassins, des cyniques,
des aveugles ou des lâches. Ils étaient coupables.
Et moi, leur petit-fils, accablé par le
remords, je ne pourrais me séparer d’eux qu’en les condamnant, qu’en les
trahissant.
Tel était le piège que m’avait tendu Julia
Garelli-Knepper en me dissimulant le nom d’Alfred Berger.
16.
Je ne savais presque rien d’Alfred Berger
avant de le débusquer et de le traquer dans les carnets et les archives de
Julia Garelli-Knepper.
Il apparaissait au détour d’un paragraphe en
1934, en 1936 :
« J’essaie d’entrer
en contact avec Alfred Berger, écrit ainsi Julia en novembre 1936. On le dit
influent au Komintern. Il pourrait appuyer la demande de Heinz de partir pour l’Espagne
combattre aux côtés des républicains dans les Brigades internationales. Manière
d’échapper à la surveillance oppressante des agents des “Organes”.
Alfred Berger le voudra-t-il ?
Willy Munzer me confie que Berger a l’indépendance
d’esprit du rouage d’une machinerie. Il ne fera rien d’autre que tourner dans
le sens qu’on lui aura indiqué.
Et Alfred Berger serait le modèle du
révolutionnaire ? Pauvre et défunte révolution dont un homme comme lui
serait le héraut !
C’est peu de dire que Munzer le méprise. En
fait, il le hait plus encore qu’il ne hait un nazi !
Nous sommes ainsi, désormais. Le mot camarade
n’est plus qu’un masque conventionnel qui dissimule les sentiments les plus
contradictoires, le plus souvent la peur et la lâcheté qu’on appelle “esprit de
parti”.
Où allons-nous ? »
Julia espère en 1937,
après l’arrestation par les agents des « Organes » de Heinz Knepper, qu’Alfred
Berger, qui séjourne à Moscou, pourra lui fournir des informations sur son lieu
de détention.
« Alfred Berger,
note-t-elle, feint de ne pas me connaître, et lorsque je l’agrippe par la
manche de la veste, il se dégage brutalement comme s’il avait été mordu par une
chienne enragée. Je ne suis qu’une femme qui implore que quelqu’un l’aide à
retrouver son époux. Mais, dans les yeux d’Alfred Berger, je ne lis que la
colère et la panique. Il craint sans doute qu’un agent des “Organes” ne me
suive en permanence et ne relève les identités de ceux auxquels je parle.
Berger me repousse, m’accuse de n’être qu’une
contre-révolutionnaire, une trotskiste au comportement dangereux, porteuse du
virus petit-bourgeois et qui ne peut accepter les impératifs de la lutte des
classes internationale.
J’espère qu’un jour, dans un autre siècle,
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