Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
Vom Netzwerk:
d’indéfini lui disait que sa quête du bonheur n’était pas près d’être achevée. Qu’il devrait souffrir encore dans son âme et dans sa chair.
    « Pourquoi ? » se demanda-t-il.
    Parce qu’il portait malheur à la gent féminine ? Ah ! Certes, il y avait eu Oriabel, Mathilde de Montaigny – qui avait bien cherché son trépas. Il y avait eu Luciane et Tancrède dans un ordre qu’il ne pouvait définir.
    Qu’avait-il donc à s’enfoncer dans la maussaderie ? Il eût dû sourire de plus en plus, or, des larmes montaient à ses yeux, lourdes et poivrées. Que craignait-il maintenant ? Une déception ? Non, un deuil : son père. Une méfiance lui vint : Aliénor, déjà, le dominait de son ombre.
    – On va y être ? demanda Lebaudy dont la lassitude semblait extrême.
    Il ne lui répondit pas.
    *
    Sitôt qu’il l’entrevit parmi les branches et les rameaux enchevêtrés, le village lui parut plus petit que dans ses pensées. Vingt maisons de torchis dont les toits coiffés de chaume verdissaient sous l’essor des plantes culmigènes. Derrière, dans le mélange confus des ramures et des cheminées, les murs du châtelet et le donjon coiffé de tuiles vernissées par un reste d’humidité exhaussaient leur sobre carrure.
    – Nous y serons bientôt, mes compères !
    Deux hommes qui frappaient un arbre sur le point de céder à leurs efforts suspendirent leur besogne et prirent appui sur le manche de leur cognée.
    – Je ne les connais pas.
    Avant de descendre de cheval, Tristan voulut contourner le village et les murs du château, ce qui sans doute, pour Paindorge, était une solennité inutile.
    – On perd du temps, dit-il. La nuit approche. Faudrait entrer…
    L’écuyer lui eut-il demandé s’il avait peur que Tristan n’eut répondu par l’affirmative.
    – J’ai quitté Castelreng il y a douze ans. C’était au printemps. Je me sentais un preux avant même d’avoir ostoié 219 . À Poitiers-Maupertuis, j’ai changé d’opinion : je ne suis qu’un chevalier ni meilleur ni pire que les autres.
    – J’en atteste le contraire ! protesta Lebaudy.
    – Et moi donc ! rugit Paindorge.
    – Moi aussi, dit Lemosquet.
    Tristan sourit. Ces trois-là le suivraient partout. Sa confiance en eux était telle qu’il n’avait pas hésité à leur révéler qu’Aliénor avait été sa fiancée avant d’épouser son père par dépit qu’il lui eût refusé le mariage. Elle avait maintenant trente-deux ans.
    « Et moi vingt-huit depuis le 22 février. »
    Il n’avait pas songé à son anniversaire. Il compta derechef sur ses doigts : « Olivier, le fils qu’elle a eu de mon père, doit avoir douze ans… peut-être davantage car elle est venue au château bien avant leur mariage. » Les meschins, déjà vieux à son départ de Castelreng, étaient certainement morts. De combien de serviteurs se composait désormais la mesnie 220  ?
    Il retrouvait l’odeur du vent, des maisons chaudes et des étables ; mais toutes ces senteurs avaient perdu leur intensité – à moins qu’il ne fût incapable d’éprouver les sensations qu’il avait imaginées. Parmi ces exhalaisons subordonnées les unes aux autres, il y avait aussi celle du ruisseau, le Cougain (403) qui bruissait à quelques pas du château.
    Il passa sous la voûte de pierre, moins ému qu’accablé par le pressentiment d’une déception proche et définitive. Il lui semblait pourtant que depuis maintes années, il n’avait vécu que pour cette fin de jour où il réintégrait le château pour y voir son père les bras tendus, les lèvres tremblantes sur des mots d’affection qui lui feraient très mal – rêve quelquefois rare, quelquefois obsédant et qui enfin coïncidait avec une réalité plus émouvante encore que les images en mouvement dans sa tête. Depuis son départ hâtif de Castelreng, le sort ne lui avait réservé que des épreuves cruelles, des amours funèbrement achevées, des ressentiments inoubliables et des courroux souvent inassouvis. Son caractère avait changé ; son corps aussi. Un sang aigre coulait sous ses chairs marquées par les tranchants d’épée, les coups orbes et les picots des carreaux et sagettes.
    Il laissa Alcazar aux soins de Paindorge et traversa la cour sans rien voir d’autre que la porte mi-close du donjon illuminé par un seul feu de cheminée. Il franchit le seuil et s’immobilisa.
    Thoumelin de Castelreng était assis près de l’âtre, dans son

Weitere Kostenlose Bücher