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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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lambeaux immaculés fondaient dans les champs aux herbes grasses. L’hiver sans doute amorçait un recul.
    – Quel jour sommes-nous ? demanda Tristan.
    – Lundi 28 février, messire, dit Lemosquet.
    – Mon père, s’il vit encore, a soixante ans depuis avant-hier.
    Nul ne broncha. Soixante ans : c’était un vieillard. Vivait-il ? En se posant une nouvelle fois la question, Tristan s’emplit la vue de son pays natal. Il était beau, même au sortir d’une saison de froidure. Vert déjà sur les plaines et les collines boisées où s’écorchaient quelques nuages nonchalants comme ceux du printemps. Montfort avait saigné cette terre et ses habitants. Les survivants avaient relevé les ruines et fortifié leur âme. Exécrable émule du fléau de Dieu, le prince d’Aquitaine avait recommencé les destructions et tueries. Les Limouxins avaient rebâti leur enceinte et des maisons s’élevaient en dehors de la cité comme autant de défis aux envahisseurs.
    Le chemin s’élevait doucement parmi des montagnettes couvertes de chênes feuillus, les uns roux, les autres verts. Entre deux prairies, des ceps tendaient vers les nuées leurs candélabres noirs. Plus loin, à dextre, il y avait Malras et à senestre l’imposante forteresse de Roquetaillade. Et devant, après les Digues d’Amont et d’Aval, les hauts murs de Castelreng que Simon de Montfort n’avait pas cru devoir assiéger. Pas de village en vue pour le moment. Aucun passant. Il était inutile de déployer la bannière et d’ailleurs, c’eût été inconvenant : tous les quatre vêtus de brun et de gris, accompagnés de leurs chevaux et des mules, ils avaient l’air de bourgeois exténués cheminant vers quelque foire ou pèlerinage lointain.
    L’eau clapotait parfois sous les fers des chevaux. Comme heureuse d’échapper à l’emprise de la neige, la verdure, çà et là, envahissait l’étroite voie où il fallait se serrer heuse à heuse pour passer à deux de front. Parfois, à l’arrière, Lebaudy et Lemosquet échangeaient des propos et des rires. Afin de prendre part à cette gaieté légère, et parce qu’il venait certainement de songer à Perrine, Paindorge se mit à chanter un lai qui sur les lèvres des Parisiens n’avait eu qu’un règne éphémère :
    Seulette m’a mon doux ami laissée,
    Seulette suis sans compère ni maître,
    Seulette suis dolente et courroucée,
    Seulette suis en langour mésaisée,
    Seulette suis plus que nulle égarée,
    Seulette suis sans ami demeurée.
    –  Merdaille ! ricana Lebaudy. Elle est dans le pétrin, ta bien-aimée.
    L’écuyer se tourna vers Tristan :
    – Vous qui savez, messire, qu’en pensez-vous ?
    – Eh bien, Robert, dans le pétrin, ton Edmonde, j’aimerais bien qu’elle y soit.
    Ni Lemosquet ni Lebaudy ne comprirent – et pour cause -, cette allusion aux amours déçues de Paindorge.
    –  Tu aurais peut-être pu emmener Perrine ?
    – Ah ! Non, messire. Voyez ces gars-là.
    L’écuyer désignait les deux soudoyers. Il conclut :
    – Ils se seraient jetés sur elle comme sur…
    L’ancien fournier devenu homme d’armes par déception de cœur chercha une comparaison habile. Vainement.
    –  Comme sur du bon pain, conclut Tristan.
    *
    Alcazar avançait d’un trot léger, certainement vers une étable imaginaire. Paindorge, sa chanson dite, ruminait sa mélancolie. Lebaudy et Lemosquet demandaient parfois si c’était encore loin. Tous aspiraient au repos. Il se pouvait qu’ils fussent bientôt consternés.
    Tristan se sentait partagé. Au sentiment de tristesse qui n’avait jusque-là cessé de s’aggraver à la vue des pays proches du sien, chaulés par la neige, se substituait de loin en loin la satisfaction ou la crainte de toucher au but. Le rayonnement du soleil était plus chaud. La profusion des arbres n’ajoutait plus une sorte de sombre mystère à l’irrémédiable vacuité des lieux mais leur conférait, au contraire, quelque chose d’aimable : ils étaient la pelisse épaisse, aux couleurs différentes selon les saisons, dont Castelreng s’enveloppait.
    S’il avait cédé aux incitations de son cœur, il eût commandé le galop, mais outre que les mules et les chevaux semblaient fortraits, il s’imposait de se délecter de son terroir et se faisait grief, sans trop peser sur ce reproche, de l’avoir quitté avec trop de hâte. Y – vivrait-il bientôt définitivement ? Rien n’était moins sûr. Quelque chose

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