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Le pas d'armes de Bordeaux

Le pas d'armes de Bordeaux

Titel: Le pas d'armes de Bordeaux Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’en était allé prier sur la tombe de sa mère. Puis il était parti. À Brignais, par Tiercelet retour du château familial, il avait appris l’existence d’Olivier. Il ne s’était pas interrogé sur les capacités de procréation de l’homme auquel il devait le jour. Il s’était dit : « J’ai un demi-frère » et sa contrariété avait été des plus brève. Il avait tant à agir, à penser, à aimer.
    Il décida : « Je ne puis rester », mais les intempéries qu’il allait devoir affronter avec ses hommes l’empêchaient de proférer des paroles définitives.
    – Je n’ai pas à être pardonné, dit-il enfin, car je n’ai rien commis qui fût impardonnable à ton égard et à son égard.
    Il désignait Olivier au regard ardent, à la lippe un peu trop forcée.
    – Je ne te savais pas grosse de lui.
    Il jouait du mensonge aussi bien qu’elle et s’en régalait.
    – Je n’ai pas osé te l’annoncer… au point où nous en étions. Tu m’aurais reproché de te forcer la main… Tu ne peux nier qu’il te ressemble.
    Tristan broncha. Non, décidément, il n’aimait pas se reconnaître en ce garçon capiteux 235 qui se prenait déjà pour un prud’homme. Et même il détestait ces pommettes saillantes sous le hâle de l’hiver ; ces yeux enflammés par une sorte d’aversion et l’éclat de ces dents de louveteau qui vient de mordre au sang pour la première fois. Il était confus d’être apparu inopinément et de se sentir l’objet d’une attention délibérément exagérée.
    – Je ne veux pas, dit-il, troubler votre sérénité. Je ne faisais que passer.
    Ni son père ni les deux autres ne furent dupes de ce mensonge.
    Cependant, comme il fallait qu’il affirmât sa hautaineté, Olivier lança :
    – Excepté quand il doit le service de l’ost, un père ne laisse pas seul longuement son fils !
    Il en avait de bonnes, l’enfant d’on ne savait qui !
    – Je le répète, dit Tristan, la bouche empouacrée de fiel, c’est à Brignais que j’ai appris par mon ami Tiercelet de Chambly (comme ce nom de manant lui paraissait soudain noble !)… que j’ai appris que mon père avait un fils.
    – Allons ! intervint le vieux Thoumelin. Je conçois, Tristan, ce que tu as ressenti. Tu ne pouvais savoir que ce fils était tien.
    – Voire !
    – En doutez-vous ? s’écria l’adolescent, la main soudain posée sur la dague à rouelles suspendue à sa ceinture (une dague ayant appartenu à Thoumelin). En doutez-vous ?
    Il s’indignait immodérément. D’être en présence d’un « père » qu’il reniait et de voir celui-ci contester cette filiation qui lui répugnait alors que, s’il était fidèle à ses pensées, il eût dû s’en réjouir.
    Tristan s’avisa de la table et s’assit à l’emplacement où, jadis, il mangeait.
    – Il n’y a qu’une chose dont je ne doute point : c’est que Dieu nous observe et nous juge.
    En revenant à Castelreng, il avait éprouvé la conviction qu’il allait quitter un monde pervers et une humanité grossière, palpitante de force et de rigueur, pour recouvrer, proche de son père, un havre de paix, de quiétude d’où il redécouvrirait les lointains et calmes horizons dont sa mémoire avait conservé les couleurs et les contours. Le sot !… Curieuses rencontres que celles de ce soir. Un jouvenceau déçu de le connaître enfin et qui jouissait de donner des coups, de le contredire avec le même sourire de biais qu’il devait avoir en tendant des collets ou en croquant des pommes acides. Thoumelin, à la fois ému et gêné, immobile et glacé, les yeux ouverts mais ne voyant personne et donnant par son attitude extérieure l’impression qu’il se sentait de trop et qu’il était temps qu’il devînt poussière. Ensuite Aliénor, nerveuse, frémissante, les mains en continuel mouvement et tournant parfois autour de son médius le doigt 236 d’or de son mariage. Aliénor toujours pareille, incapable de brider les agacins d’un corps avide d’étreintes mais vide de bons sentiments. Sa raison de femme et de mère n’offrait plus de résistance au déplaisir d’être en présence d’une espèce de fantôme. Au contraire, elle l’encourageait, elle l’éperonnait. Devant ce trio sans grandeur et peut-être sans âme – ou si peu – Tristan se sentait non seulement un intrus, mais également un vaincu. Il eût pu aisément faire échec au bannissement souhaité par la mère et le fils et régner

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